Jamaïque : des infirmières diplômées au chômage, malgré une pénurie criante dans les hôpitaux

En pleine pandémie, Alleshia Rutty a quitté un emploi stable de douze ans pour répondre à l’appel national en faveur du renforcement du personnel soignant. Quatre ans plus tard, diplôme d’infirmière en poche, elle se retrouve au chômage – comme nombre de ses camarades de promotion – dans un pays pourtant confronté à une pénurie chronique d’infirmières.

Une promesse trahie

« J’étais convaincue que c’était un métier d’avenir. Que je pourrais faire une différence », confie Alleshia Rutty, diplômée du Knox Community College en octobre 2024. Mais après neuf mois de recherches infructueuses, de candidatures déposées dans tous les hôpitaux, cliniques et centres de santé du pays – y compris dans les zones rurales – elle n’a reçu que des refus.

« J’ai même proposé de travailler gratuitement pour acquérir de l’expérience. On m’a écartée », déplore-t-elle.

Un autre diplômé du même établissement, qui a préféré garder l’anonymat, témoigne d’une expérience similaire. « J’ai postulé partout, du secteur public au privé, de Kingston à Montego Bay. Silence total. On me dit qu’il n’y a pas de budget, pas de postes ouverts. »

Un système de santé sous tension

Le paradoxe est criant : alors que la Jamaïque peine à retenir ses infirmières spécialisées – environ 500 partent chaque année depuis 2018 – le gouvernement recrute à l’étranger. Lundi, un contingent d’infirmières nigérianes doit être accueilli sur l’île, et des accords de coopération ont été signés avec les Philippines, Cuba et, plus récemment, le Ghana.

« Pourquoi aller chercher ailleurs alors que nous sommes là, formées, disponibles, mais ignorées ? », s’insurge une diplômée. « Je me sens invisible, inutile. »

Des obstacles structurels

Pour le ministre de la Santé, Dr Christopher Tufton, la situation est plus complexe. Il reconnaît des pénuries aiguës, mais surtout dans des spécialités comme les soins intensifs, la néphrologie ou l’oncologie. Selon lui, le manque de postes disponibles pour les infirmières généralistes dans les hôpitaux très demandés – comme ceux de Kingston ou Spanish Town – complique les embauches. Il évoque également une faible volonté de certains professionnels à s’installer dans des régions moins centrales comme Portland ou Westmoreland.

Le ministre dit vouloir accompagner les jeunes diplômés, mais aucune annonce concrète n’a été faite.

Un système d’embauche rigide

Dawn-Marie Richards, présidente de l’Association des infirmières de Jamaïque (NAJ), confirme que le système de recrutement a changé. Autrefois, les diplômés pouvaient être engagés à titre temporaire après l’obtention de leur diplôme. Désormais, sans "poste budgétairement autorisé", aucune embauche n’est possible, même en cas de besoin.

Elle ajoute que la NAJ a plaidé pour davantage de programmes de spécialisation pour les infirmières locales. « Nous ne sommes pas contre le recrutement international, mais il faut d’abord investir dans notre propre personnel. »

L’urgence d’une solution durable

Face à l’inaction, les jeunes infirmières oscillent entre résignation et colère. « Le métier d’infirmier, c’est une discipline qui se pratique. Si on reste inactif trop longtemps, on perd la main », explique une diplômée d’État. « On nous a dit que ce serait un chemin vers la stabilité. Aujourd’hui, on a des dettes étudiantes, des proches à charge, et aucune perspective. »

Alors que de nouvelles promotions sortiront des écoles d’infirmiers en octobre, beaucoup redoutent un engrenage : des cohortes de diplômés laissés pour compte, pendant que le gouvernement importe du personnel étranger.

« Si la spécialisation est la solution, alors formez-nous. Donnez-nous les moyens d’avancer. Nous sommes prêtes. »
— Une infirmière diplômée, toujours sans emploi

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