République dominicaine : après les expulsions massives, une crise de main-d’œuvre s’installe

 

Alors qu’Haïti s’enfonce dans une crise sans précédent, de nombreux Haïtiens continuent de chercher refuge chez le voisin dominicain. Mais de l’autre côté de la frontière, la politique migratoire se durcit. Des milliers d’Haïtiens sont expulsés, plongeant ceux qui restent dans la peur constante. Et désormais, la République dominicaine se retrouve confrontée à un paradoxe : ses secteurs clés manquent cruellement de bras.

Vivre et travailler dans la peur

Chaque jour, Agamise Cheranfant, ouvrier agricole haïtien, se cache après sa journée passée à couper des régimes de bananes sous un soleil implacable, dans la région de Mao (nord-ouest). Sans papiers, il vit avec la crainte d’être arrêté et renvoyé de force en Haïti.
« On dort avec la peur, on mange avec la peur », confie-t-il à l’AFP dans un espagnol hésitant. « On fuit à l’aube, au milieu de la nuit. On ne peut pas vivre tranquille. »

Comme lui, des milliers d’Haïtiens vivent dans la clandestinité. Et pourtant, ce sont eux qui tiennent à bout de bras des pans entiers de l’économie dominicaine : agriculture, construction, tourisme... Autant de secteurs où les Dominicains, en majorité, refusent les postes les plus pénibles ou les moins rémunérés.

Une politique migratoire de plus en plus sévère

Depuis son arrivée au pouvoir en 2020, le président Luis Abinader – réélu largement en 2024 – a fait de la lutte contre l’immigration illégale une priorité. Construction d’un mur à la frontière, multiplication des contrôles, arrestations massives : le ton s’est durci, même envers les plus vulnérables.

Le premier semestre 2025 a vu plus de 200 000 Haïtiens expulsés, selon les autorités. Certaines femmes ont été arrêtées à la sortie des maternités. L’objectif affiché est clair : reprendre le contrôle d’un flux migratoire jugé incontrôlé.

Une pénurie de main-d’œuvre inédite

Mais cette politique a un coût. Du côté des employeurs, le constat est alarmant : la main-d’œuvre disparaît.
Dans la construction, l’association des promoteurs (Acoprovi) évoque une chute de 40 à 80 % du nombre de travailleurs disponibles dans certaines zones. Le tourisme est également touché, notamment dans les cuisines et les services de base.

« Ce sont des emplois que les Dominicains ne veulent pas occuper », rappelle l’économiste Henri Hebrard. Acoprovi plaide pour un plan de régularisation prévoyant la délivrance de 87 000 permis de travail temporaires. Dans les plantations de bananes, les producteurs estiment à 15 000 le nombre d’ouvriers haïtiens nécessaires au maintien de l’activité.

Un secteur agricole déjà en crise

La culture de la banane, pilier des exportations dominicaines vers l’Europe et les États-Unis, subit déjà les effets conjugués du climat, des maladies et de la hausse des coûts de production. La récolte a chuté de 44 % entre 2021 et 2024, selon l’association Adobanano.
L’expulsion des travailleurs haïtiens vient aggraver la situation. « Ici, on a perdu plus de 50 % des effectifs », déplore Osvaldo Pineo, producteur. Les ouvriers restants travaillent désormais dans une extrême précarité, se déplaçant d’un champ à l’autre sans stabilité, parfois pour quelques jours.

Cette incertitude pèse aussi sur les employeurs. « Si vous transportez un ouvrier sans papiers et que vous êtes contrôlé, vous risquez d’être accusé de trafic d’êtres humains », souligne Pineo, résigné.

Un mur, mais aucune solution durable

Face à la pénurie, les appels à la régularisation se multiplient. Mais le gouvernement dominicain reste inflexible, préférant afficher sa fermeté que chercher des compromis. Pourtant, sur le terrain, la réalité économique rattrape la logique sécuritaire. Sans les travailleurs haïtiens, c’est toute une partie de l’économie dominicaine qui vacille.

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