Zimbabwe : la justice rejette une requête de l’opposition visant à suspendre les audiences sur les massacres du Gukurahundi
Entre 1983 et 1987, environ 20 000 personnes – principalement issues de la minorité ndébélé – ont été tuées lors d’une campagne de répression menée par le régime de Robert Mugabe, selon des ONG et des organisations religieuses. Ces violences, perpétrées par la Cinquième brigade, une unité militaire formée en Corée du Nord et placée sous l’autorité directe du président Mugabe, visaient les partisans de Joshua Nkomo, alors chef de file de l’opposition et figure emblématique de la communauté ndébélé.
Un processus de réconciliation controversé
Les audiences publiques ont été lancées à l’initiative de l’actuel président Emmerson Mnangagwa, lui-même ministre de la Sécurité nationale au moment des faits. Officiellement présentées comme un effort de réconciliation nationale, elles doivent être conduites par des chefs traditionnels dans les villages concernés, avec pour objectif la collecte de témoignages, l’établissement d’un rapport officiel et l’éventuelle mise en place de réparations financières pour les familles de victimes.
Mais ce processus est vivement contesté par ZAPU, aujourd’hui dirigé par Sibangilizwe Nkomo, fils du défunt Joshua Nkomo. Le parti dénonce une démarche unilatérale, menée sans transparence ni garanties d’indépendance.
« Nous ne sommes pas opposés au principe des audiences, mais elles ne peuvent pas être dirigées par des chefs coutumiers désignés par l’État », a déclaré M. Nkomo devant la presse.
« Nous voulons une justice réelle pour les femmes violées, les familles endeuillées, les villages réduits en cendres. »
ZAPU avait saisi la Haute Cour pour tenter de faire suspendre le processus, estimant qu’il manquait d’objectivité et qu’il revictimisait les survivants. Mais la juge a estimé que la requête ne relevait pas de l’urgence, soulignant qu’elle aurait pu être introduite plus tôt. L’opposition a répliqué avoir privilégié le dialogue avant d’opter pour une action judiciaire.
Une mémoire douloureuse, encore sans justice
Le Gukurahundi reste un sujet tabou au Zimbabwe. Pendant des décennies, il a été censuré dans les médias, ignoré par les manuels scolaires, et jamais officiellement reconnu par les autorités. Robert Mugabe, décédé en 2019, n’a jamais présenté d’excuses ni reconnu sa responsabilité. Il a qualifié à plusieurs reprises les enquêtes d’ONG internationales comme Amnesty International ou de la Commission catholique pour la justice et la paix de "mensonges sans fondement".
Pour les familles de victimes et les survivants, les initiatives actuelles ne suffisent pas. ZAPU appelle à la création d’un mécanisme indépendant, avec le soutien de juristes internationaux et de médiateurs neutres, afin que justice soit réellement rendue.
« Tant que les responsables politiques de l’époque ne sont pas nommés, entendus et jugés, il ne peut y avoir de réconciliation sincère », estime un militant des droits humains basé à Bulawayo.
Malgré ce revers judiciaire, les pressions de la société civile et des familles endeuillées pourraient continuer à peser sur le pouvoir. Car au Zimbabwe, le Gukurahundi n’est pas seulement une tragédie du passé : c’est une plaie encore ouverte, un enjeu de mémoire, de justice et de légitimité pour un régime confronté à son propre héritage.
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