Mort d'indifférence à l'hôpital

Nous revenons aujourd'hui sur un fait d'actualité aussi inquiétant que révoltant, qui pointe, non pas comme de nombreux observateurs aiment à le répéter, la déconstruction et le démantèlement du système hospitalier bien que ce phénomène orchestré par l'Etat soit également déplorable, mais plutôt la considération des porteurs de locks. 

En effet, ce jeune dreadlocks venu à l'hôpital se faire soigner y est décédé dans l'indifférence du personnel hospitalier, par simple mépris. S'il avait eu les cheveux courts et un joli polo, l'issue de sa visite aurait certainement été autre. Mais on connait, cette "appréciation" de l'apparence dreadlocks qui nous vaut, par derrière, des commentaires nous qualifiant d'affabulateurs sous psychotropes et minimisant nos propos. Eh bien en voici la parfaite illustration et les conséquences tragiques. 

Pour preuve, le témoignage d'un autre patient qui a courageusement pris la plume pour raconter ce qu'il s'est vraiment passé ce jour là. Edifiant. 

Témoignage :

Il a assisté à l'agonie de Lucas à l'hôpital de Hyères: "Je l'ai vu le regard vide, se tordre de douleurs pendant qu'on passait devant lui"

Damien Arnoux a 25 ans, le même âge que le jeune homme décédé dans l'établissement hyérois dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre des suites d'une septicémie. "Que l'on ne me parle pas de moyens, que l'on parle d'humanité. Ce qui est arrivé est édifiant", explique le témoin de l'agonie du jeune homme. "J'ai écrit plusieurs lettres pour décrire ce qu'il s'est passé cette nuit-là".


"Ce qui est arrivé à Lucas aurait pu m'arriver à moi, à n'importe qui. Je ne me tairais pas et il faut que chacun assume ses responsabilités". Damien Arnoux a assisté pendant de longues heures à la mort de Lucas aux urgences de l'hôpital de Hyères

"Un manque de moyens? Ce n'est pas le problème"


"On m'a demandé pourquoi j'avais adressé des courriers sur ce que j'ai vu et quel est le but de ma démarche. Le but ? C'est que je ne veux pas que mes proches ou d'autres subissent ce que Lucas a subi. On est censé se sentir en sécurité dans un hôpital. On parle de manque de moyens, ce n'est pas le problème. Je n'irais plus jamais là-bas". 

Damien Arnoux est un solide gaillard, un sportif de haut niveau en windsurf, un battant. Le 30 septembre 2023, il est au travail et il est victime d'une lombalgie qui l'immobilise totalement. Les secours interviennent et le transporte à l'hôpital de Hyères. 

Après voir patienté longuement, allongé à même le sol dans la salle d'attente, il est pris en charge et placé sur un brancard, juste en face de Lucas, dans un couloir. "C'était un samedi et il y avait du monde. Nous sommes presque rentrés en même temps. Au début je ne me préoccupais pas de lui et puis il a commencé à se mettre en PLS (position latérale de sécurité)". 


"La crème fraîche ne devait pas être fraîche"

Selon Damien, une médecin s'approche de Lucas qui commence à se tordre de douleurs et lui demande ce qu'il a mangé. "Il lui parle de crème fraîche, elle lui répond qu'elle ne devait pas être fraîche sans plus d'auscultation. On ne le prend pas au sérieux". 

"Je ne suis pas médecin mais je vois qu'il n'est pas bien du tout". Sa tension est très basse et son cœur bat très vite (autour de 130), selon des sources. "Il gémit et je le vois se relever de son brancard, s'adosser sur le mur et s'effondrer. Il avait les yeux dans le vide. Deux infirmières n'y prêtent pas attention", décrit-il. 

Il interpelle alors un infirmier. "Il va alors lui lever les jambes et prendre sa tension. J'entends qu'il est à 5.3. Je vois l'infirmier s'inquiéter et aller chercher la médecin. Elle revient vers Lucas et lui demande: Monsieur vous êtes avec nous? Lucas parvient à lui répondre qu'il va extrêmement mal. Il est très essoufflé."


"Un médecin qui ne revient pas"

Le témoin entend que s'il parle ce n'est pas un véritable 5.3. "Il était à la limite de la conscience. Elle est repartie. "L'infirmier a été consciencieux, il a pris la tension à l'autre bras et elle était très basse. Le taux de glycémie était hyper inquiétant et hyper bas". La médecin ne reviendra jamais et l'infirmier transporte le patient vers la salle de déchocage.

"C'était à trois mètres de moi et les portes étaient ouvertes. J'ai assisté à tout. Une deuxième équipe a pris le relais. Ils ont tout fait pour le sauver. L'anesthésiste a demandé que l'on aille chercher ses parents qui attendaient et puis Lucas a fait un premier arrêt cardiaque. Je l'ai entendu dire: Il va nous lâcher!". 

Sa mère et son père regagnent la salle d'attente. "Il y a eu un massage cardiaque de près de 30 minutes. Tout s'accélérerait. J'ai entendu qu'un appel était passé à Sainte-Musse à Toulon mais pour un transfert il devait être stabilisé. Ils pensaient à une péritonite. J'ai appris que c'était une septicémie due à un méningocoque". 


"Un temps où ils ont tout fait pour le sauver"

Lucas est revenu à lui, explique Damien. "L'anesthésiste a encore dit: il va nous lâcher". De son brancard, le Carqueirannais assiste impuissant à cette course contre la mort. "Il y a eu un problème d'adrénaline parce qu'une première dose avait été utilisée. Les urgences n'auraient pas été réapprovisionnés en adrénaline".

Mais la dose d'adrénaline aurait-elle été salvatrice après tout ce temps d'attente? Seules des investigations menées à la suite de la plainte de la famille du jeune homme pourront le dire. 

"Il faut comprendre qu'il y a deux phases dans sa prise en charge. Un temps où son cas a été pris à la légère et celui où les médecins et infirmiers ont tout fait pour le sauver. Ils étaient nombreux autour de lui à ce moment-là". 

Un silence s'est alors fait. "Tout le monde a quitté la salle. Un infirmier a installé deux chaises près du corps inerte de Lucas. Deux chaises pour son père et sa mère. Vous imaginez suivre votre fils à l'hôpital, attendre et que l'on vous annonce son décès ?". 


Réponses du ministère de la Santé et de l'hôpital

Damien est sorti bouleversé de l'hôpital. " En me refaisant le film de ce qui venait d'arriver je me suis dit qu'il fallait faire quelque chose. Quand on m'a demandé comment allait mon dos, j'ai répondu que ça allait après tout ce que j'avais vu".

Il se décide à écrire au ministre de la Santé Aurélien Rousseau qui, par la voix de son chef de cabinet, lui a répondu qu'il saisissait l'Agence régionale de Santé pour clarifier la situation et que le ministre souhaiterait être présent pour présenter ses condoléances à la famille. 

Deuxième réponse: celle de l'hôpital. "En résumé, on me souhaite un prompt rétablissement sans parler de Lucas". 

Contactée, la direction de l'hôpital "s'associe à l'émotion qu'a suscité ce décès" et annonce "collaborer à l'enquête menée par l'autorité compétente dans le cadre de la plainte déposée". 


Méningocoques: "Si vous l'aviez attrapez, vous seriez déjà mort!"

Mais pour Damien Arnoux, les choses ne s'arrêtent pas là. Lucas était atteint par une infection à méningocoques, avec des risques graves, voire mortels. "Les cas de maladies contagieuses doivent obligatoirement être transmises à l'ARS pour que les personnes contacts soient alertées et prises en charge". 


Le personnel médical et la famille de Lucas sont contactés mais pas Damien. "Ils m'ont appelé onze jours après. Après la réception de mon courrier. Le médecin que j'ai eu m'a dit: Si vous l'aviez attrapez, vous seriez déjà mort! J'ai un nourrisson, ma femme, mes parents, mes proches et voilà la réponse pour cet oubli". 

Lorsqu'il voit et entendu que le décès de Lucas est repris pour parler de manque de moyens, il est outré. "Le fond du problème n'est pas le manque de moyens mais un manque d'humanité. La seconde équipe a mis les moyens. Il n'y a rien à redire. C'est l'humain le problème", répète-t-il. 


Lucas est décédé dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre à l'hôpital de Hyères. Sa famille a porté plainte pour homicide involontaire. 

Paix à son âme

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