La réalisatrice Mati Diop sacrée à la Berlinale


Le sacre de Mati Diop à la Berlinale 2024, symbole du rayonnement mondial d'un nouveau cinéma français
Ce 24 février 2024, la réalisatrice Mati Diop s’est vue récompensée d’un Ours d’or pour son documentaire Dahomey. Un prix qui vient comme un point d’orgue, sacrer un nouveau souffle au cœur du cinéma français.
Oui, l'image de Lupita Nyong'o remettant l'Ours d'or du meilleur film à la cinéaste franco-sénégalaise Mati Diop lors de la dernière Berlinale a de quoi émouvoir. L'une est la première femme noire à présider la Berlinale. L'autre, la première cinéaste sénégalaise à se voir récompensée du prix le plus convoité du festival. En effet, ce samedi 24 février, la réalisatrice a obtenu le prix du meilleur film pour son documentaire Dahomey, consacré à la question des restitutions par les anciennes puissances coloniales d'œuvres d'art volées en Afrique. Une récompense qui résonne avec les récents succès des réalisatrices Alice Diop et Audrey Diwan à la Mostra de Venise, de Julia Ducournau au festival de Cannes ou encore de Justine Triet aux Golden Globes. Comme la naissance d'un nouveau cinéma d'auteur français, nourri par des nouvelles figures féminines (et très souvent féministes).

Mati Diop sacrée à la Berlinale 2024, une victoire politique
En remportant l'Ours d'or ce 24 février, Mati Diop est devenue la première réalisatrice français à obtenir ce prix, ainsi que la première cinéaste sénégalaise, du fait de sa double nationalité. Depuis la création du prix – l'un des plus prestigieux du cinéma mondial – en 1951, elle est seulement la 8ème femme à en être récompensée. Une victoire d'autant plus politique que Dahomey, le documentaire primé, évoque la restitution au Bénin, en 2021, d'œuvres d'art pillées lors de l'invasion des troupes coloniales françaises en 1892. Effectuée en novembre 2021, s'agit à ce jour de la plus importante restitution de la part d'une ancienne puissance coloniale, alors qu'une vague de rapatriement a été amorcée par les États français, belges et allemands, au cours des cinq dernières années.

En recevant son prix, Mati Diop s'est fendue d'un discours résolument politique : “Nous pouvons soit oublier le passé, une charge désagréable qui nous empêche d'évoluer, ou nous pouvons en prendre la responsabilité, l'utiliser pour avancer, a-t-elle déclaré, citant Aimé Césaire. En tant que Franco-Sénégalaise, cinéaste afro-descendante, j'ai choisi d'être de ceux qui refusent d'oublier, qui refusent l'amnésie comme méthode”. Dahomey s'inscrit ainsi comme le deuxième film africain à recevoir l’Ours d’or (après le sud-africain U-Carmen e-Khayelitsha de Mark Dornford-May en 2005. La cinéaste succède en outre au Français Nicolas Philibert, Ours d’or l’an dernier grâce au documentaire Sur l'Adamant. Elle n'est pas non plus la seule française récompensée cette année : le réalisateur Bruno Dumont s'est vu remettre le prix du Jury, pour son long-métrage de science-fiction L'Empire, actuellement en salles.

Pour nous, cet Ours d'or vient sacrer une carrière impeccable et résolument politique. On s'en souvient : Mati Diop avait d'ores et déjà été mise en lumière lors du festival de Cannes en 2019, lorsque le jury, présidé par Alejandro González Iñárritu et composé de l'actrice Elle Fanning, des réalisateurs Robin Campillo et Yórgos Lánthimos ou encore des cinéastes Kelly Reichardt et Alice Rohrwacher, avaient sacré Atlantique par le très convoité Grand Prix. Comme une manière d'asseoir Mati Diop dans la cour des grands avec son premier long-métrage de fiction, un film de fantômes consacré à la jeunesse migrante disparue en mer. Mais surtout, une manière d'asseoir une certaine idée du cinéma d'auteur, qui n'est plus réservé qu'aux hommes blancs.

Du renouveau du cinéma d'auteur
Son appellation même est un problème. Le cinéma d'auteur pourrait-il être filmé par des femmes ? Au cœur de la Nouvelle Vague, mouvement presque uniquement composé d'hommes s'il en est, la réponse semble évidente. Les femmes sont systématiquement écartées de la création artistique. Tout au plus, elles peuvent être des muses, devant la caméra, de Anna Karina à Jean Seberg. Une seule exception confirme la règle : Agnès Varda, qui demeure aujourd'hui encore, l'un des seuls noms qui nous vient en tête lorsque l'on nous demande de citer des cinéastes femmes.

Dans un ouvrage paru en 2005 (La Nouvelle Vague, un cinéma au masculin singulier), l'historienne française Geneviève Sellier retrace comment le mouvement de la Nouvelle Vague a pu, au tournant des années 1960, instaurer une tradition misogyne dans le cinéma français, tant au niveau critique que pratique. En effet, cette vague menée par des réalisateurs presque exclusivement masculins, de Claude Chabrol à François Truffaut, en passant par Jean-Luc Godard, et tous les autres, a imposé un “modèle de l'art au cinéma, associant la subjectivité du créateur, sa maîtrise sans partage de l'œuvre et la transgression des normes aussi bien culturelles que morales”, selon l'autrice. Dans son essai, Geneviève Sellier réfute l'appellation féministe, mais elle l'incarne pourtant, tant elle met en lumière les paradoxes d'une époque qui d’une part, veut une émancipation des femmes, et, d’autre part, demeure marquée par une hégémonie machiste de la subjectivité masculine, qui se retrouve aussi bien au niveau de la production (les cinéastes) que de la réception (la critique).

De brûler les films de François Truffaut, il n'est ici pas question. Il est toutefois intéressant de noter que les diktats imposés par la Nouvelle Vague ont longtemps perduré dans le cinéma français, renommé pour l'occasion, “cinéma d'auteur”, avec des héritiers masculins reprenant les codes de leurs prédécesseurs, de François Ozon à Christophe Honoré en passant par Arnaud Desplechin. Depuis quelques années toutefois, il semble qu'une nouvelle “nouvelle vague” soit en train de se former. Une vague composée de cinéastes femmes, aux idées neuves et aux voix qui portent. Et pour la première fois dans l'Histoire, leur travail est unanimement reconnu. L'Ours d'or tout récemment remporté par Mati Diop. 

Son sacre s'ajoute à ceux, nombreux au cours des dernières années, de cinéastes françaises aux réalisations novatrices et pertinentes. C'est par exemple le Lion d'argent, à la Mostra de Venise remporté par Alice Diop pour son magistral Saint Omer, porté par l'interprétation de Guslagie Malanda, en 2022. Un an plus tôt, c'est Audrey Diwan qui remportait le Lion d'or pour L'Évènement, une adaptation du récit autobiographie de l'autrice Annie Ernaux. Et la liste continue : la même année, Julia Ducournau crée la stupeur en remportant une Palme d'or pour Titane, un film d'horreur interrogeant nos perceptions du genre, avec une douceur et une esthétique peu commune. Plus récemment encore, la pluie de prix obtenus par Anatomie d'une chute de Justine Triet, qui lui-même remet en question l'existence d'une bonne manière d'être femme, au cœur d'un procès qui présente la géniale Sandra Hüller comme l'archétype de tout ce que rejette la société patriarcale. Une interprétation récompensée d'un César de la meilleure actrice, mais surtout d'une nomination aux Oscars, qui auront lieu le 10 mars prochain et où Anatomie d'une chute concourt également pour les prix du meilleur scénario, du meilleur film, et de la meilleure réalisation pour Triet. 

En outre, le succès en salles du long-métrage ne cesse de croître en pleine saison des récompenses : après 27 semaines d'exploitation en France (une longévité extrêmement rare), le film cumule à ce jour 1,6 millions de spectateur·ices en France. Quant à Dahomey, le documentaire de Mati Diop, celui-ci devrait paraître sur les écrans français le 25 septembre 2024. Souhaitons-lui au moins le même succès.

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