La cour administrative d’appel de Paris a examiné lundi le recours de 1 286 plaignants demandant réparation pour leur exposition au chlordécone, un pesticide massivement utilisé dans les Antilles, responsable d’une pollution durable des sols et des eaux.
En juin 2022, le tribunal administratif avait reconnu les « négligences fautives » de l’État, coupable d’avoir autorisé la vente du chlordécone au-delà des délais légaux prévus après le retrait de son homologation. Toutefois, les demandes d’indemnisation au titre du préjudice d’anxiété avaient été rejetées, les requérants n’apportant pas d’éléments « personnels et circonstanciés » prouvant l’existence d’un tel préjudice, si ce n’est leur résidence en Martinique ou en Guadeloupe pendant au moins douze mois depuis 1973.
Un pesticide toxique aux effets dévastateurs
Interdit en France en 1990, le chlordécone a continué d’être utilisé dans les plantations de bananes des Antilles grâce à des dérogations ministérielles jusqu’en 1993. Ce pesticide a entraîné une contamination massive des sols, des nappes phréatiques et des milieux marins. Selon Santé publique France, plus de 90 % de la population adulte en Guadeloupe et en Martinique est aujourd’hui contaminée, et les hommes y présentent l’un des taux les plus élevés au monde de cancer de la prostate.
Une bataille juridique pour la reconnaissance du préjudice d’anxiété
Trois associations et 1 286 personnes, résidant ou ayant résidé en Guadeloupe ou en Martinique, réclament chacune 15 000 euros d’indemnisation pour préjudice d’anxiété. Lors de l’audience, la rapporteure publique a souligné « la faute caractérisée » de l’État et ses « carences fautives » dès la mise sur le marché du pesticide en 1972, alors que sa toxicité et ses risques environnementaux étaient déjà connus.
Cependant, elle a rappelé la rigueur de la jurisprudence du Conseil d’État concernant le préjudice d’anxiété, exigeant des preuves « personnelles et circonstanciées » démontrant un « risque élevé » de développer une maladie grave. Seuls neuf plaignants, atteints ou ayant été atteints d’un cancer de la prostate, rempliraient ces critères, pour lesquels elle a proposé des indemnisations de 5 000 à 10 000 euros.
Une indignation partagée par les avocats des victimes
« Nous représentons 1 280 personnes, hommes et femmes, et le rapporteur public semble considérer que seuls les hommes ayant souffert d’un cancer de la prostate peuvent être indemnisés. C’est une aberration, une injustice, une ignominie », a dénoncé Me Christophe Lèguevaques, avocat des parties civiles.
Les avocats des requérants plaident également pour la reconnaissance du préjudice moral, dont les conditions d’indemnisation sont jugées « plus souples ». Me Jérémy Bousquet a évoqué la « perte massive de proches », des déménagements contraints pour échapper à la contamination, la nécessité d’adapter son alimentation, ainsi que l’atteinte au droit fondamental de vivre dans un environnement sain.
Au-delà du cancer de la prostate, Me Lèguevaques a rappelé que le chlordécone, perturbateur endocrinien, est également lié à des troubles neurologiques et à des cas de prématurité. « Et cela ne serait pas une cause d’angoisse ? », s’est-il indigné, soulignant le sort des ouvrières agricoles qui manipulaient le pesticide à mains nues.
La décision de la cour administrative d’appel est attendue autour du 11 mars.
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