Ce lundi 31 mars, le guide Michelin dévoilera sa nouvelle liste des restaurants étoilés. Bien que le guide réputé affirme porter une attention particulière aux chefs des Outre-mer et à leur cuisine, il n'a toujours pas envisagé d’envoyer ses inspecteurs dans l’ensemble des territoires ultramarins pour les évaluer. Pourquoi une telle omission ?
Depuis 125 ans, le guide Michelin est considéré comme la référence incontournable en matière de gastronomie en France. Sa classification reste une institution dans le monde de la restauration, bien que ses décisions suscitent parfois des critiques, comme celles de figures emblématiques de la cuisine française telles que Marc Veyrat, à Megève, ou Sébastien Bras, à Laguiole. Ces derniers ont d’ailleurs choisi de ne plus figurer dans le guide, ce dernier ayant exercé selon eux une pression trop forte. En 2018, Sébastien Bras, chef trois étoiles du Suquet dans l’Aveyron, annonçait son souhait de se retirer du guide en raison de cette pression.
D’autres chefs, cependant, restent reconnaissants envers cette distinction qui fait encore la fierté de nombreux professionnels. Louis-Philippe Vigilant, chef martiniquais du restaurant La Côte-d'Or à Saulieu, qui possède deux étoiles Michelin, en fait partie. Selon lui, cette reconnaissance est un immense honneur : "Deux étoiles au Guide Michelin, c'est une consécration pour moi, mais aussi pour toute l’équipe qui travaille toute l'année pour satisfaire des clients et leur offrir une expérience extraordinaire", déclarait-il. Avec Marcel Ravin, également chef martiniquais, au Blue Bay à Monaco, ils sont les seuls chefs d'origine ultramarine à détenir deux étoiles.
"Ils n'y vont pas parce que ça ne les intéresse pas"
L’attribution des étoiles relève de l’évaluation minutieuse des inspecteurs du Guide Michelin. Chaque année, ces agents secrets de la gastronomie parcourent anonymement la France et le monde pour juger les établissements de milliers de restaurants. En 2024, la France figurait en tête avec 639 étoiles, suivie du Japon avec 393 et de l’Italie avec 392. Gagner une ou plusieurs étoiles est un gage de notoriété, mais la perte d’une étoile peut avoir des conséquences dramatiques pour un restaurant. Année après année, de nombreux chefs luttent pour décrocher une distinction, sachant que la compétition est féroce et que seuls quelques rares établissements sont récompensés.
Cependant, pour les chefs ultramarins, il est encore impossible de se retrouver dans cette "course" aux étoiles. En effet, les inspecteurs Michelin n'ont jamais effectué de déplacement dans les neuf territoires ultramarins pour évaluer la cuisine locale. Cette situation suscite la colère de Babette de Rozières, cheffe cuisinière et créatrice du Salon de la Gastronomie des Outre-mer, qui dénonce : "Ils n'y vont pas parce que ça ne les intéresse pas. Ils ne voient que l'Hexagone, c'est tout ce qui compte pour eux."
Fervente défenseure de la cuisine ultramarine, Babette de Rozières a d'ailleurs remis un rapport sur la cuisine des Outre-mer en 2022 à Sébastien Lecornu, alors ministre des Outre-mer. Ce rapport proposait notamment des bases de réflexion pour soutenir les professionnels du secteur agroalimentaire dans les territoires ultramarins. Elle a aussi lancé une invitation au Guide Michelin, lui suggérant de venir en Guadeloupe pour découvrir ce qu’elle considère comme une véritable culture gastronomique : "Je suis certaine qu'ils seront enchantés par notre cuisine."
Des signes d’ouverture mais encore beaucoup d’obstacles
À La Réunion, comme ailleurs dans les Outre-mer, cette absence de reconnaissance reste un sujet de débat parmi les chefs. "Nous avons une cuisine traditionnelle avec une richesse d’influences et des produits exceptionnels. Il y a de plus en plus de chefs à La Réunion qui mettent en valeur ce terroir unique, et il me semble logique que certains d’entre eux soient au moins référencés dans le guide", explique Jehan Colson, un chef ayant travaillé auprès des plus grands noms de la cuisine française. Aujourd’hui à la tête du restaurant La Fabrique à Saint-Denis de La Réunion, il se dit convaincu que le Guide Michelin finira par s'intéresser à ces talents lorsque plus de chefs de qualité auront émergé.
Louis-Philippe Vigilant, pour sa part, croit que lorsque la cuisine ultramarine gagnera en visibilité, le Guide Michelin finira par porter son regard sur elle. "Lorsque suffisamment de chefs avec une cuisine de qualité feront parler d'eux, je pense que le guide Michelin viendra voir ce qui se passe ici", confie-t-il.
Quelques signes d’intérêt laissent espérer une évolution de la situation. Thierry Marx, le chef étoilé et président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UIMH), a récemment visité la Polynésie et La Réunion, où il a été séduit par la diversité de la cuisine locale. "J'adore cette cuisine car elle est pleine de diversité et d’étonnements. J’ai découvert de vrais talents ici, avec des prémices de cuisine d’auteur chez de jeunes chefs", confiait-il en janvier dernier.
Les obstacles financiers
Alors pourquoi la cuisine ultramarine, avec sa richesse de terroir et de produits, reste-t-elle ignorée par le Guide Michelin ? La réponse tient principalement aux coûts que représentent les déplacements pour les inspecteurs. "Il n’y a pas du tout de volonté de notre part de mettre de côté les cuisines d’Outre-mer. Nous allons régulièrement sur le terrain, notamment en Antilles et à La Réunion, pour rencontrer les chefs, goûter leurs plats et évaluer leur cuisine. Mais nous ne pouvons pas encore y aller suffisamment souvent pour respecter la méthodologie du guide, qui exige des visites annuelles avec plusieurs inspecteurs afin de croiser les opinions", explique Elisabeth Boucher, directrice des relations extérieures du Guide Michelin.
Le guide concurrent Gault & Millau tente également de se faire une place dans les Outre-mer. Bien qu'il ait relancé son guide des Rhums aux Antilles, son guide gastronomique des Antilles a été mis en pause depuis 2020. Pour l’instant, seul son magazine trimestriel mentionne parfois les produits ultramarins. De son côté, Gault & Millau mise sur des enquêteurs locaux pour évaluer les restaurants, ce qui permet une couverture plus souple des territoires ultramarins. "Nous n’envoyons pas des enquêteurs depuis l’Hexagone, mais nous engageons des enquêteurs locaux qui connaissent bien les saveurs locales", affirme Patrick Hayoun, président de Gault & Millau.
Même si des perspectives d’évaluation des restaurants ultramarins semblent se dessiner, la route reste semée d’embûches. Le Guide Michelin assure que le jour où il pourra couvrir ces territoires de manière régulière, il le fera avec la même rigueur et le même engagement qu'en Hexagone : "Nous couvrirons les Outre-mer dès que nous en serons capables, et ce, pour reconnaître les talents où qu’ils soient", conclut Elisabeth Boucher.
Commentaires
Enregistrer un commentaire