Lorsque Martin Luther King arrive à Memphis, il est un homme usé, traqué, qui semble pressentir sa propre disparition. Il y a 56 ans, le 4 avril 1968, il tombait sous les balles d'un assassin. Retour sur ses dernières 48 heures.
Martin Luther King Jr. émerge sur la scène publique en 1955, en soutenant les Noirs de Montgomery (Alabama) dans leur lutte contre la ségrégation dans les transports publics. Sa résistance pacifique aboutit à une première victoire lorsque, en décembre 1956, la Cour suprême des États-Unis déclare cette discrimination inconstitutionnelle.
"I Have a Dream" : un discours entré dans l'Histoire
Dès lors, ce jeune pasteur baptiste ne cesse de se battre pour les droits civiques, notamment l'accès des Noirs au vote. En 1963, son nom est connu de tous. Il organise cette année-là une marche sur Washington, qui rassemble 250 000 personnes devant le Lincoln Memorial. Son discours "I Have a Dream" devient un appel universel contre le racisme. Un an plus tard, il reçoit le prix Nobel de la paix et porte le combat pour l'égalité raciale sur la scène internationale. En juillet 1964, sous la pression du mouvement, le président Lyndon Johnson signe une loi interdisant toute discrimination raciale. King devient un héros pour certains, une cible à abattre pour d'autres.
Memphis, la dernière bataille
Le 3 avril 1968, l'avion d'Atlanta à destination de Memphis atterrit avec une heure de retard, retard causé par une alerte à la bombe. King et ses compagnons de la Southern Christian Leadership Conference (SCLC) descendent, les visages crispés. Habitué aux menaces, King ironise : "Ce n’est pas aujourd’hui qu’ils me tueront !"
En effet, en 1968, le FBI recense plus de cinquante complots contre lui, certains allant jusqu'à offrir une prime de 100 000 dollars pour son assassinat. Dix ans plus tôt, il avait déjà échappé à la mort après avoir été poignardé par une femme lors d'une séance de dédicace.
Épuisé par la lutte et les déceptions, King n’est plus l’homme infatigable des débuts. Il abuse de l'alcool, fume excessivement et exprime souvent des pensées sombres. Lors d'un sermon, le 4 février, il prononce sa propre oraison funèbre : "De temps en temps, je pense à ma propre mort [...] Je voudrais que quelqu’un mentionne ce jour-là que Martin Luther King Jr. a tenté de donner sa vie en servant les autres."
Un combat qui divise
En quatre ans, il a perdu de nombreux soutiens. Les progressistes blancs, autrefois derrière lui, réprouvent sa volonté de redistribution du pouvoir économique et politique. Parallèlement, la jeunesse noire se détourne de sa doctrine de non-violence. Le mouvement Black Power prône un nationalisme radical et les émeutes se multiplient dans les grandes villes.
L’opposition à la guerre du Vietnam le marginalise davantage. En 1967, il dénonce l'intervention américaine, un choix qui le fait chuter dans l'opinion publique, y compris chez les Noirs. Dès lors, il devient une cible des autorités : le FBI le surveille, infiltre son mouvement et expose sa vie privée pour le discréditer.
Le dernier jour
Le 4 avril, Martin Luther King et son entourage se réveillent tard. Ils apprennent que la manifestation prévue à Memphis est autorisée. Dans l’après-midi, ils plaisantent et se chamaillent dans la cour du Lorraine Motel. Puis, à 18 heures, il sort prendre l’air sur le balcon. Quelques instants plus tard, une détonation retentit.
King s'effondre. Ralph Abernathy accourt, découvrant son ami baignant dans son sang. Transporté à l’hôpital Saint-Joseph, il succombe à ses blessures à 19 h 05. Il avait 39 ans, mais un cœur usé comme celui d’un sexagénaire, selon les médecins.
Le FBI désigne rapidement un suspect : James Earl Ray, un suprémaciste blanc, retrouvé à Londres le 8 juin. Condamné à 99 ans de prison, il meurt en détention en 1998.
Un pays en flammes
L'annonce de l'assassinat provoque une onde de choc. Des émeutes éclatent à Washington, Chicago, Baltimore, Boston. Au bout de dix jours d'affrontements, le bilan est de 300 blessés et 20 000 arrestations.
Le 9 avril, à Atlanta, 300 000 personnes suivent en silence le cercueil de Martin Luther King, tiré par deux mules. Dans l'église, sa voix résonne une dernière fois :
"Je voudrais que quelqu’un dise ce jour-là [...] que j’ai essayé d’aimer et de servir l’humanité."
Ainsi s’achève la vie de l’un des plus grands artisans de la justice sociale. Son combat, lui, continue encore aujourd’hui.
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