Décès de Koyo Kouoh, première femme africaine nommée à la tête de la Biennale de Venise

Elle aurait dû être la première femme africaine à diriger la Biennale de Venise, l’un des événements les plus prestigieux de la scène artistique mondiale. Le 10 mai dernier, Koyo Kouoh s’est éteinte brutalement, laissant un vide immense dans le monde de l’art contemporain. Née en 1967 à Douala (Cameroun) et élevée entre sa ville natale et Zurich, elle dirigeait depuis six ans le Zeitz MOCAA, à Cape Town, l’un des principaux musées d’art contemporain du continent africain.

Son parcours est celui d’une femme résolument africaine, visionnaire et engagée. Curatrice, directrice d’institutions, fondatrice de Raw Material Company à Dakar, Koyo Kouoh n’a cessé de faire converger l’art et l’engagement politique. Sa pensée critique, sa quête de justice épistémique et son combat pour la décolonisation culturelle ont marqué une génération. Ses projets redonnaient voix aux artistes du Sud global, bousculaient les récits dominants et interrogeaient les cadres institutionnels traditionnels.

Une nomination historique

Sa désignation comme commissaire générale de la 61e Biennale de Venise, prévue en 2026, marquait un tournant historique : c’était la première fois qu’une femme africaine se voyait confier les rênes de cette institution centenaire. Elle y portait une ambition forte : décentrer les regards, revisiter les héritages et faire de la Biennale un espace plus inclusif.

Dans une interview accordée en février 2025, elle évoquait cette mission avec émotion et lucidité :

« Être nommée à la tête de la Biennale est un honneur immense. C’est aussi une reconnaissance d’un long parcours, une invitation à poser mon regard, mes obsessions, mes valeurs. »

Elle refusait de dévoiler les détails de son projet pour 2026, mais promettait une édition fidèle à ses engagements.

Redéfinir les récits

Interrogée sur l’eurocentrisme de la Biennale, elle assumait sans détour sa posture :

« Mon travail est nourri d’une perspective panafricaine, féministe, ancestrale. Je viens avec mon bagage, avec ce que je suis. Je ne cherche pas à corriger les récits dominants. Mon rôle, c’est de proposer d’autres récits, d’autres imaginaires. »

Elle rejetait l’idée que l’art doive illustrer l’actualité ou se plier à l’instantanéité :

« L’art est un espace de lenteur, un lieu de pensée profonde. Il ne peut pas être réduit à une réaction. Il doit rester un lieu de complexité. »

L’art comme narration

Pour Koyo Kouoh, le rôle du commissaire d’exposition s’apparente à celui d’un conteur :

« Une exposition peut être un poème, un roman, une épopée. J’ai toujours voulu être romancière. Être commissaire, c’est écrire sans écrire. »

Face au pouvoir croissant du marché de l’art, elle prônait une approche plurielle :

« L’argent fait partie du monde de l’art, mais il n’en est pas la seule mesure. La légitimité, ce n’est pas seulement une question de cotes. C’est aussi une question de sens, de profondeur, de contribution au récit collectif. »

Une autre manière de penser l’institution

À la tête du Zeitz MOCAA, elle a initié une transformation profonde : une attention particulière aux pratiques individuelles, aux monographies, aux chronologies propres aux artistes du continent et de la diaspora. Ce travail, expliquait-elle, visait à réécrire l’histoire de l’art africain de l’intérieur :

« Il ne s’agit pas de rejeter ce qui a été fait de l’extérieur, mais de reprendre la main. C’est à nous d’écrire notre histoire, avec nos mots, nos images, nos temporalités. »

Le public au cœur

Le public, soulignait-elle, est au centre de tout :

« Tout ce que nous faisons est destiné au public. L’art doit nourrir le dialogue, la compréhension, l’imagination collective. »

Consciente des barrières qui subsistent, elle défendait une vision de l’art enracinée dans les pratiques sociales et communautaires africaines, là où modernité et tradition dialoguent encore :

« L’art n’a pas toujours été un espace élitiste. Il était rituel, collectif, quotidien. Nous devons retrouver cette continuité. »

Koyo Kouoh laisse derrière elle un legs puissant, une pensée vivante, des institutions en mouvement. Son nom restera lié à l’exigence d’une autre narration de l’art, plus juste, plus inclusive, plus libre. Son absence, à la veille de la Biennale qu’elle devait incarner, rend encore plus précieux son héritage.

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