Polynésie : près de 90 000 euros dépensés par l’État pour contrer une enquête indépendante sur les essais nucléaires
Le 27 mai, Disclose et Le Monde ont publié de nouvelles révélations concernant les essais nucléaires menés par la France en Polynésie entre 1966 et 1996. Ces publications relancent le débat autour du livre-enquête Toxique, paru en mars 2021, qui affirmait, preuves scientifiques à l’appui, que près de 90 % de la population polynésienne aurait été exposée aux retombées radioactives des essais atmosphériques.
Les auteurs de l’ouvrage, le chercheur Sébastien Philippe et le journaliste Tomas Statius, s’étaient appuyés sur des documents militaires déclassifiés pour établir cette contamination massive. Leur travail avait été largement relayé et présenté devant la commission d’enquête parlementaire, où ils ont été auditionnés le 21 janvier dernier.
Face à ces révélations, l’État, par le biais du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), aurait entrepris de produire un contre-récit officiel, révèle Tomas Statius. En novembre 2022, une brochure intitulée Les essais nucléaires : comment, pourquoi et avec quelles conséquences ?, éditée par le CEA et imprimée à 5 000 exemplaires, a discrètement circulé en Polynésie. Le document minimise l’impact sanitaire des essais et insiste sur la "transparence" et le "souci constant de la santé publique" de l’État.
Selon les enquêtes de Disclose et Le Monde, près de 90 000 euros auraient été engagés pour la conception, l’impression et la diffusion de cette brochure, ainsi que pour un déplacement sur place afin d’en faire la présentation. Une somme d’autant plus notable que, devant cette même commission d’enquête parlementaire, le CEA avait précédemment justifié ses retards dans la déclassification de documents par un manque de moyens financiers.
La députée polynésienne Mereana Reid Arbelot, rapporteure de la commission d’enquête, a évoqué la période des essais comme marquée par une "frénésie" technologique. Entre 1966 et 1974, 46 essais nucléaires atmosphériques ont eu lieu dans les atolls du Pacifique. Ces essais ont laissé une empreinte durable sur les populations locales.
La commission parlementaire a terminé ses auditions publiques le 14 mai, après avoir entendu plus de 90 témoins, dont l’ancien ministre des Outre-mer Manuel Valls. Ce dernier a exprimé le souhait que la France présente des excuses aux Polynésiens. Le rapport final de la commission est attendu mi-juin 2025.
Un enjeu majeur demeure : l’indemnisation des victimes. La loi Morin de 2010 reconnaît un lien de causalité entre les essais et 23 pathologies. Pourtant, la commission de suivi censée se réunir deux fois par an n’a plus siégé depuis 2021, dénonce Jean-Luc Sans, ancien président de l’association des vétérans des essais nucléaires (Aven). "L’État est donc dans l’illégalité", conclut-il.
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