Il y a 30 ans, Jacques Chirac relançait les essais nucléaires en Polynésie : retour sur une décision qui a mis le feu à Tahiti

 

Le 13 juin 1995, un mois après son élection, Jacques Chirac annonçait la reprise des essais nucléaires français en Polynésie, rompant ainsi avec le moratoire instauré par François Mitterrand en 1992. Une décision brutale, mal expliquée, qui déclencha une vague de colère dans l’archipel et suscita un tollé international.

Un revirement présidentiel aux lourdes conséquences

Lors d’une conférence de presse à l’Élysée, le nouveau président déclare que huit essais nucléaires seront réalisés entre septembre 1995 et mai 1996 sur les atolls de Moruroa et Fangataufa. Officiellement, ces tests doivent compléter les données nécessaires à la mise en place de simulations numériques, prélude à la signature par la France du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICEN).

Mais cette annonce, perçue comme un retour en arrière, provoque une onde de choc en Polynésie française. Trois ans plus tôt, François Mitterrand avait suspendu les tirs, à la fois sous pression internationale et pour répondre à une demande croissante d’écologistes et de populations locales épuisées par trois décennies d’essais — dont les effets sanitaires et environnementaux commencent alors à être documentés.

Un passé atomique lourd de conséquences

Depuis 1966, la France a mené 193 essais nucléaires en Polynésie, d’abord atmosphériques, puis souterrains à partir du milieu des années 1970. Officiellement, ces opérations étaient « maîtrisées ». En réalité, des travaux récents, comme ceux de Renaud Meltz, Alexis Vrignon ou encore Sébastien Philippe, montrent que les populations ont bel et bien été exposées à des radiations. En 1992, sous l'effet combiné de la fin de la Guerre froide, des préoccupations écologiques et de contraintes budgétaires, Mitterrand décrète un moratoire. En Polynésie, cette décision est saluée par les militants antinucléaires et le parti indépendantiste Tavini Huiraatira, mais elle inquiète aussi une partie des responsables locaux, conscients de la dépendance économique au Centre d’expérimentations du Pacifique (CEP).

Une annonce mal calibrée, une colère mal anticipée

En 1995, Jacques Chirac promet pendant sa campagne d’étudier la nécessité de relancer les essais. Une fois élu, il tranche rapidement. Pour lui, il s’agit de finaliser le programme avant d’entrer dans l’ère du désarmement. Mais la communication échoue. En Polynésie, c’est la reprise qui est entendue, pas l’arrêt annoncé à venir. Le gouvernement local, pourtant proche de Chirac, n’a pas été consulté. Et la population ne supporte plus d’être le terrain d’expérimentation de la France.

Les réactions sont immédiates : manifestations massives, soutien d’ONG comme Greenpeace, tension diplomatique avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande… Le 5 septembre 1995, le premier essai a lieu. Le lendemain, Tahiti s’embrase. Des émeutes éclatent, notamment à l’aéroport de Faa’a. Du jamais-vu.

Fin précipitée des essais nucléaires

Prévue pour durer jusqu’en mai 1996, la campagne d’essais s’arrêtera plus tôt que prévu. Seuls six tirs seront finalement réalisés. Le dernier, baptisé Xouthos, a lieu le 27 janvier 1996. Deux jours plus tard, Jacques Chirac s’adresse solennellement à la nation : « Mes chers compatriotes, je vous annonce ce soir l'arrêt définitif des essais nucléaires français. » C’est la fin d’un chapitre sombre de la relation entre la France et la Polynésie.

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