Son nom ne figure peut-être pas parmi les plus populaires de la scène reggae, mais sans Joe Higgs, beaucoup de légendes n’auraient jamais trouvé leur voix. Mentor discret mais fondamental, Higgs a façonné l’âme du reggae dès ses débuts, et à l’occasion de ce qui aurait été son 85e anniversaire, sa mémoire a été célébrée comme il se doit au musée Bob Marley à Kingston.
Considéré comme un pionnier de la transition du rocksteady vers le reggae, Higgs reste une figure centrale et fondatrice du genre. Mardi dernier, une foule de passionnés, d’artistes et de membres de sa famille se sont réunis pour lui rendre hommage — rappelant qu’au-delà de la reconnaissance publique, le titre de « père du reggae » lui revient de droit.
« Higgs est un maître resté dans l’ombre », a déclaré Herbie Miller, directeur du Jamaica Music Museum, qui animait l’hommage. Lors de l’événement, un mini-documentaire retraçant le parcours de Joe Higgs a été projeté en exclusivité. Pour Miller, ce film est bien plus qu’un simple hommage : « Il démontre à quel point les arts sont essentiels pour préserver notre mémoire collective. »
Il a également salué l'engagement de la famille Higgs pour faire vivre cet héritage : « Ce que vous avez fait est exemplaire. Beaucoup d’autres figures mériteraient elles aussi leur propre documentaire. »
Si Joe Higgs a laissé une empreinte musicale, sa plus grande contribution reste sans doute son rôle de formateur. Il fut le mentor de toute une génération d’artistes : Peter Tosh, Bob Marley, Bunny Wailer, Rita Marley, Jimmy Cliff, Beverley Kelso, Junior Brathwaite... Tous reconnaissent l’impact décisif qu’il a eu sur leur carrière.
Ricky Chaplain, s'exprimant au nom de la famille Marley, a salué cette vocation de transmission : « Oncle Joe n’était pas seulement un musicien. C’était un guide. Il a été choisi pour cette mission. Il incarnait l’harmonie, il était un pilier du reggae. »
Même tonalité chez Ewan Simpson, président de la Jamaica Reggae Industry Association, qui a souligné combien les récits, les chansons et les films sont essentiels pour honorer les figures fondatrices du patrimoine jamaïcain : « Joe Higgs n’enseignait pas seulement la musique. Il prônait une philosophie, un principe de vie. Il est urgent de multiplier les formes de narration pour célébrer ceux qui ont bâti les fondations de notre culture. »
Nikiki Bogle, petite-fille de Joe Higgs et directrice de la fondation qui porte son nom, a insisté sur la nécessité de transmettre cet héritage aux jeunes générations : « Il est à l’origine de nombreuses branches du reggae. Les élèves doivent connaître celui qu’on appelle le père du genre. Notre mission est de préserver, transmettre et célébrer son œuvre. »
Né dans l’ouest de Kingston d’un père des îles Turques-et-Caïques et d’une mère jamaïcaine, Joe Higgs grandit à Trench Town. Dès 1958, il connaît le succès avec le morceau Oh Manny Oh, en duo avec Roy Wilson, produit par Edward Seaga, futur Premier ministre.
Dans les années 1960, Higgs prend sous son aile un jeune trio prometteur : Bob Marley, Peter Tosh et Bunny Wailer. Il les aide à perfectionner leur style, forge leur image et les présente à Clement Dodd, qui produira leurs premiers succès, dont Simmer Down.
Higgs accompagne Jimmy Cliff et les Wailers en tournée dans les années 1970 avant de s’installer en Californie, où il deviendra un pilier de la scène reggae émergente. Il y meurt en 1999, à l’âge de 59 ans.
L’événement en son honneur s’est conclu par un concert vibrant, dans les jardins du musée Bob Marley, réunissant notamment Marlon Brown, Fredlocks, Bongo Herman, les Niahbinghi Drummers et la chanteuse italienne Madelaine — preuve que l’influence de Joe Higgs dépasse aujourd’hui les frontières de la Jamaïque.
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