Quatre champions jamaïcains choisissent de représenter la Turquie : un signal d’alarme pour l’athlétisme jamaïcain

 

C’est un véritable séisme dans le monde de l’athlétisme : quatre athlètes jamaïcains de haut niveau ont annoncé qu’ils représenteront désormais la Turquie lors des compétitions internationales, dont les prochains championnats du monde à Tokyo et les Jeux Olympiques de Los Angeles en 2028. En cause : un profond sentiment d’abandon de la part des autorités sportives de leur pays natal.

Parmi eux, Rojé Stona, champion olympique en titre et détenteur du record du monde du lancer du disque avec un jet de 70 mètres. Il a offert à la Jamaïque sa seule médaille d’or aux Jeux de Paris 2024, devenant par la même occasion le premier Jamaïcain titré dans cette discipline.

À ses côtés, Rajindra Campbell, médaillé de bronze au lancer du poids à Paris, également premier médaillé jamaïcain dans sa spécialité. Les rejoignent Wayne Pinnock, vice-champion olympique du saut en longueur, et Jaydon Hibbert, quatrième au triple saut.

“Les autorités se fichent de nous”

Ces athlètes dénoncent une politique de favoritisme de la JAAA (Association d’athlétisme amateur de la Jamaïque), qui concentrerait ses efforts sur les disciplines de sprint, longtemps vitrine de la réussite jamaïcaine sur la scène mondiale.

“Nous ne sommes pas des sprinteurs. Je porte les couleurs de la Jamaïque, mais je n’ai jamais eu de sponsor. Aujourd’hui, je fais ce que je veux de mon talent. Les autorités se fichent de nous.”
— Rajindra Campbell, au micro de RJR Gleaner

Rojé Stona a lui aussi fustigé publiquement le manque de reconnaissance et de soutien financier, soulignant que leur engagement envers la Jamaïque n’a jamais été réciproque.

Un départ encadré et lucratif

Selon la presse jamaïcaine, les contrats signés avec la fédération turque courent sur huit ans. Ces athlètes ne défendront donc plus les couleurs de la Jamaïque aux Mondiaux de 2025 à Tokyo ni aux JO de 2028 à Los Angeles.

En échange, ils bénéficient de rémunérations mensuelles confortables, de primes à six chiffres pour chaque médaille, et d’un bonus de signature de 500 000 dollars.

La Turquie, en pleine stratégie de renforcement de son équipe olympique, voit dans la Jamaïque un vivier de talents à fort potentiel. Le manque de soutien local devient ainsi une opportunité pour d’autres nations.

Une critique ouverte du système

Ce transfert retentissant relance le débat sur les failles de l’encadrement sportif en Jamaïque. L’ancien sprinteur Asafa Powell, ex-recordman du 100 m, n’a pas mâché ses mots :

“Je ne souhaite pas que mes enfants portent un jour le drapeau jamaïcain. C’est une critique directe du manque de considération pour nos athlètes et des infrastructures défaillantes.”

Des propos appuyés par Olivia Grange, ministre jamaïcaine des Sports, qui reconnaît l’ampleur du problème. Elle appelle à une réforme structurelle pour garantir un avenir aux jeunes talents issus des quartiers populaires, souvent livrés à eux-mêmes après leurs carrières.

Vers une nouvelle génération d’athlètes pragmatiques

Dans un contexte économique difficile, la nouvelle génération d’athlètes ne veut plus se contenter de faire briller le drapeau pour l’honneur. Elle veut pouvoir vivre dignement de son travail, sécuriser son avenir, et bénéficier du même soutien que celui accordé aux sprinteurs vedettes.

Car la carrière d’un athlète de haut niveau est brève et précaire. Une blessure, une contre-performance, et tout peut basculer. Ces départs vers la Turquie envoient un message fort : le patriotisme ne suffit plus là où les moyens manquent cruellement.

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