Guyane : un désert juridique dans l’Ouest, bientôt privé d’avocats

 

D’ici la fin du mois de février, il n’y aura plus d’avocat en poste fixe dans l’Ouest de la Guyane. La dernière avocate installée, Maître Bintou Diarra, s’apprête à quitter le territoire, laissant ainsi les habitants de Saint-Laurent-du-Maroni privés d’un avocat commis d’office – un droit pourtant fondamental en France.

Un désert judiciaire qui s’aggrave

Jusqu’à récemment, Maîtres Bintou Diarra et Rosengerg étaient les deux seuls avocats exerçant en permanence dans la capitale de l’Ouest guyanais. Mais en février 2024, Maître Rosengerg a choisi de retourner à Cayenne, aggravant ainsi la pénurie de défenseurs dans la région.

Une charge de travail insoutenable

Arrivée en juillet 2023, Maître Bintou Diarra s’est vite retrouvée seule face à une charge de travail écrasante.

"Je suis de garde à vue 24h/24 et 7j/7", déplore-t-elle. "Et pas seulement sur Saint-Laurent, mais aussi à Mana et Apatou. Pour les mineurs, la présence d’un avocat est obligatoire en garde à vue, donc il faut impérativement se déplacer. Même en congés, on m’appelle, car il n’y a personne d’autre."

Débordée, l’avocate a alerté le barreau de Guyane en octobre dernier. Face à l’absence de solutions, elle a pris la décision de quitter le territoire à la fin du mois de février.

Un droit fondamental menacé

"J’aime beaucoup l’Ouest, j’étais très bien intégrée, mais j’ai dû faire un choix", explique-t-elle. "Si je pars, il n’y a plus rien. Si je reste, c’est ma santé et ma vie personnelle qui en pâtissent."

Elle regrette aussi le manque de mobilisation autour de cette crise : "Même en étant seule, on ne parlait pas du manque d’avocats à Saint-Laurent."

Désormais, les habitants de l’Ouest guyanais seront privés d’avocat commis d’office, un droit pourtant fondamental garanti en France.

80 avocats pour toute la Guyane, des disparités criantes

Avec seulement 80 avocats sur l’ensemble du territoire, la Guyane souffre d’un manque criant de professionnels du droit. En comparaison, la Corse, bien moins peuplée, en compte quatre fois plus.

S’ajoute à cela une forte inégalité de répartition : la majorité des avocats sont installés à Cayenne, tandis que les autres communes en sont largement dépourvues.

"Au départ, on pensait que l’activité juridique était limitée dans l’Ouest", reconnaît Me Christine Charlot, bâtonnière de Guyane. "Mais il faut aussi la volonté de s’installer à Saint-Laurent, ce qui n’est pas forcément le choix des avocats du littoral. Et puis, les postes permanents représentent une charge de travail énorme."

Quelles solutions pour l’avenir ?

En attendant une solution durable, des avocats de Cayenne devraient assurer des permanences dans l’Ouest. Mais cela ne suffira pas à combler le vide laissé par un avocat en poste fixe.

Me Christine Charlot mise sur la formation locale pour tenter d’inverser la tendance : "Nous espérons que les étudiants en droit guyanais puissent accéder à la profession d’avocat. Nous misons beaucoup sur cette piste pour renforcer le barreau."

Une cité judiciaire est prévue à Saint-Laurent-du-Maroni pour fin 2026, mais sans avocats, la justice restera inaccessible pour de nombreux habitants de l’Ouest guyanais.

Interrogé, le parquet n’a pas souhaité s’exprimer sur la situation.

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