À La Réunion, les prix sont en moyenne 40 % plus élevés que dans l’Hexagone, selon l’INSEE. Pourquoi un tel écart ? Et surtout, comment le réduire ? Christophe Girardier, expert en stratégie économique et président du cabinet Bolonyocte Consulting, apporte son éclairage, en attendant le projet de loi contre la vie chère outre-mer promis par Manuel Valls, ministre des Outre-mer. De son côté, le groupe GBH, mis en cause, annonce déposer plainte pour diffamation.
Christophe Girardier n’est pas un inconnu sur ce sujet : il a déjà mené plusieurs études pour l’Observatoire des Prix, des Marges et des Revenus (OPMR) de La Réunion. À quelques semaines de l’annonce d’un "plan de bataille complet et structurel" contre la vie chère, promis par le gouvernement pour cet été, il détaille les leviers à actionner.
Une concurrence quasi absente
Premier constat : le manque de concurrence. "À La Réunion, lorsqu’une grande surface est implantée à un endroit, il n’y a généralement pas de concurrente à proximité", explique Girardier. Un paradoxe, alors que le marché représente environ 3 milliards d’euros.
Aujourd'hui, deux grands groupes, Bernard Hayot (GBH) et Leclerc, se partagent à eux seuls les deux tiers du marché. GBH détient environ 40 % de parts de marché, Leclerc 30 %, et Run Market autour de 15 %. "Quand le marché est aussi concentré, ce sont ces acteurs qui, de manière concertée ou non, fixent les prix", analyse-t-il.
Quant à l'argument souvent avancé par les distributeurs — celui de l’éloignement géographique et des frais supplémentaires qu’il entraîne —, Girardier le relativise : "Ces surcoûts ne représentent que 7 à 10 % du prix final d’un produit."
Des acteurs omniprésents dans toute la chaîne économique
La situation est encore aggravée par la structure même des groupes en place. GBH, notamment, est présent à la fois dans la grande distribution, l'industrie, le bricolage, et l'automobile. Il est parfois à la fois producteur, distributeur et vendeur.
"Les yaourts Danone, par exemple, sont fabriqués par Hayot et vendus dans ses propres enseignes Carrefour", illustre Girardier. Même schéma dans l'automobile, où le groupe vend aussi bien les voitures que les pièces détachées, et assure leur entretien. Résultat : "le marché est verrouillé, en amont comme en aval."
Pour sortir de l'impasse : encourager le pluralisme concurrentiel
Pour mettre fin à ces situations de quasi-monopole, l’expert propose une solution radicale : limiter à 25 % maximum les parts de marché détenues par un même acteur dans tous les secteurs économiques.
Il prend en exemple la métropole, où même le leader Leclerc ne détient que 22 % du marché de la distribution. Girardier recommande également la création d’une autorité indépendante de la concurrence dédiée aux territoires ultramarins, composée de membres désignés par les responsables locaux.
Cette autorité ferait un bilan annuel et, si nécessaire, obligerait les groupes dépassant les seuils à céder certains actifs pour faire de la place à de nouveaux entrants. "C’est la seule manière de casser les monopoles et de faire baisser durablement les prix", affirme-t-il, tout en soulignant qu'une telle réforme nécessiterait "un vrai courage politique".
GBH riposte en justice
Quelques heures après ces déclarations, le groupe Bernard Hayot a publié un communiqué dénonçant "des attaques récurrentes" de la part de Christophe Girardier. Selon GBH, ces propos relèveraient de la diffamation. Le groupe annonce donc "prendre toutes les mesures juridiques nécessaires" et déposer plainte contre l’expert.
Voici le communiqué de presse du groupe GBH
"Face aux préoccupations légitimes concernant le coût de la vie à La Réunion, le directeur des magasins Carrefour Réunion tient à rappeler une série de faits objectifs, souvent négligés dans les discours polémiques, et à réaffirmer son engagement en faveur du pouvoir d’achat dans l’île.
La cherté de la vie en Outre-mer est une réalité reconnue par tous. Mais il est inexact – et injuste – d’en faire porter la responsabilité principale à un seul acteur économique.
Les différences de prix entre la Réunion et l’Hexagone s’expliquent d’abord par des contraintes structurelles indépendantes de GBH.
- L'éloignement géographique, engendrant des coûts de transport et de logistique
supplémentaires. - Une dépendance aux importations, avec environ 80 % des produits consommés importés,
renforcée par un manque d’alternative locales suffisantes. - Faiblesse des volumes de consommation, qui empêche les économies d’échelle.
Regardez, dans les territoires où GBH n’est pas présent (par exemple en Polynésie ou à Saint Martin) les prix des produits alimentaires sont 46% plus chers que dans l’Hexagone. Les autorités publiques, les économistes et les chambres consulaires estiment que l’éloignement, à lui seul, explique près de 67 % des écarts de prix.
Dans la grande distribution alimentaire, secteur particulièrement visé par les critiques, le groupe GBH affiche une marge netie autour de 2 %, soit le même niveau qu’en hexagone. A La Réunion, cette activité est déficitaire depuis la reprise de Vindémia. Ces données sont vérifiables dans les comptes publiés et à disposition du public.
Carrefour Réunion n’est pas en situation de monopole ni en position dominante. Nous ne sommes pas en position dominante avec une part de marché autour de 28%. A la Réunion il y a 7 enseignes dans la grande distribution pour 850 000 habitants. Les 3 premières représentent 75% de part de marché.
Dans l’Hexagone, il y a 8 enseignes principales pour plus de 65 000 000 d’habitants. Les 4 premières représentent 75% de part de marché.
Grâce à l’acquisition de Vindemia nous avons dynamisé la concurrence en baissant immédiatement les prix de 7% dans tous les magasins rachetés.
Le nombre d’enseigne présentes à la Réunion est resté le même après cette opération. Elles sont toujours au nombre de 7. Non seulement Carrefour a moins de magasins et une part de marché inférieure aujourd’hui à Casino avant le rachat, mais en plus la concurrence s’est renforcée : Leclerc a ouvert 3 hypers, U a ouvert 4 magasins.
Le rachat de Vindémia a été possible avec l’accord des autorités de la concurrence à la suite d’une étude qui a duré deux ans. Tous nos engagements ont été respectés et sont contrôlés depuis 5 ans par un mandataire indépendant nommé par l’Autorité de la Concurrence.
Amaury de Lavigne,
Directeur Général de Carrefour Réunion"

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