Parlée par environ 4 000 personnes au Botswana et en Namibie, la langue taa est aujourd’hui menacée d’extinction. Issue de la communauté San, peuple de chasseurs-cueilleurs d’Afrique australe, elle est dotée du système sonore le plus complexe connu, avec une centaine de sons, dont de nombreux clics caractéristiques des langues khoisanes. Fasciné par cette musicalité unique, le producteur américain Ian Brennan, lauréat d’un Grammy Award, lui a récemment consacré un album, donnant à entendre une langue que le monde risque bientôt de ne plus entendre du tout.
Une langue musicale parmi les plus rares
Le taa se distingue par sa richesse phonétique, trois fois plus fournie que celle du français. « La musique a un pouvoir mémoriel immense. Elle précède même le langage parlé. C’est peut-être notre dernier rempart contre l’oubli des langues en danger », explique Ian Brennan. En 2020, il part à la rencontre de locuteurs dans les régions reculées du Botswana, micro à la main. De ces échanges naît Taa ! Notre langue est peut-être en train de mourir, mais nos voix continuent d’exister, un album qui mêle chants, récits et prières, porteurs de la mémoire collective.
Entre marginalisation et résignation
À l’origine, le taa était transmis au sein des communautés San. Mais les décennies de marginalisation, les discriminations héritées de l’époque coloniale et l'absence de politique linguistique en sa faveur ont fragilisé sa transmission. « Les locuteurs du taa sont souvent conscients de la disparition progressive de leur langue, confie Brennan. Certains se battent pour la préserver, mais doivent aussi faire face à des urgences quotidiennes bien plus concrètes. »
Tom Güldemann, linguiste à l’université Humboldt de Berlin, rappelle que cette disparition s’inscrit dans un contexte plus large : « Même avec un fort attachement culturel, sans moyens politiques ou éducatifs, les efforts restent limités. » Le multilinguisme régional, combiné au manque de matériel pédagogique, rend l’apprentissage du taa difficile, voire inaccessible aux plus jeunes.
L’avenir suspendu aux politiques éducatives
En Namibie, l’anglais est la langue officielle et principale langue d’enseignement. Si plusieurs langues locales peuvent être enseignées selon les niveaux, les langues khoisanes comme le taa n’ont que peu de place dans le système éducatif. Résultat : les jeunes locuteurs utilisent davantage des langues dominantes comme le herero ou l’afrikaans. « Ce mélange progressif des langues contribue aussi à l’effacement du taa », souligne Ian Brennan.
Documenter pour résister
Face à cette érosion, la documentation linguistique devient cruciale. C’est l’objectif du programme international DOBES, auquel participe Tom Güldemann. Depuis les années 2000, des milliers d’enregistrements sont réalisés pour préserver non seulement les sons, mais aussi la grammaire, les récits oraux, les gestes du quotidien et les histoires personnelles. « Ce travail ne garantit pas la survie de la langue, mais il en conserve la mémoire. C’est une base indispensable pour toute revitalisation future », affirme le linguiste.
« Fier de ma langue »
Pour Moses Saathe, l’un des locuteurs taa en Namibie, l’enjeu dépasse la linguistique. « Je suis fier de ma langue. Elle porte notre histoire, nos croyances, notre identité. Je rêve qu’elle soit un jour reconnue comme les autres langues du pays. » Car derrière les clics et les consonnes du taa se cache un patrimoine culturel millénaire. Et tant que des voix s’élèvent pour le chanter, l’espoir subsiste.
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