C'est par un long message sur les réseaux sociaux qu'Eric Coriolan, actuel président de Sentinelles Guadeloupe, a exprimé sa déception face à la présence du groupe Kassav' à l'Elysée pour la fête de la musique. Voici son message.
À TOUS : JE NE SUIS PAS CE KASSAV'-LÀ
Non, je ne suis pas Kassav’. Plus aujourd’hui. Et ce n’est ni du “kankan”, ni du mépris : c’est une posture. Politique.
Kassav’, je l’ai aimé. Comme beaucoup d’entre vous. Kassav’ n’était pas seulement un groupe musical : c’était un souffle, une mémoire rythmée, une affirmation debout dans une langue que l’Histoire voulait courbée. C’était une réponse musicale à l’ordre colonial, une invention sonore qui disait à la République : “nou la, é nou pa vou.”
Mais ce que nous avons vu à l’Élysée n’est pas un concert. C’est un événement politique. Et il est légitime de l’analyser politiquement. Ou alors, c'est ignorer la dimension Politique de Kassav', qui n'est pas à confondre avec "La Compagnie Créole"...
Oui, le créole a résonné dans les murs dorés de l’État. Et alors ? Cela ne suffit pas. Ce n’est pas une victoire, c’est un renversement symbolique : ce que Kassav’ représentait — la décolonisation par la création — s’est retrouvé photographié dans les bras d’un pouvoir qui n’a jamais su reconnaître pleinement notre histoire, ni nos luttes. Ce n’est pas “rentrer dans l’Histoire”. C’est poser dans le décor de ceux qui écrivent encore la nôtre à notre place.
Et plus grave encore : cette mise en scène n’est pas neutre. Elle s’inscrit dans une stratégie bien connue du pouvoir actuel : instrumentaliser la "diversité" pour provoquer la réaction de son "extrême droite", attiser les clivages culturels, tout en se présentant comme “moderne” et “ouvert”. Il n’y a qu’à lire les commentaires sous les articles des médias français annonçant l’événement : haine raciale, rejet du créole, appel à la France “blanche” et “pure”. Le pouvoir le sait. Il mise dessus. Il nourrit ce feu, pour mieux jouer au pompier pyromane. Et dans ce théâtre, nous devenons des figurants.
À ceux qui me demandent de me taire au nom de l’unité, le silence n’a jamais construit l’unité. L’histoire de nos peuples s’est toujours faite dans la parole, dans le refus, dans la lucidité, avec en face la violence. Vous m’accusez de diviser ? Je vous réponds : l’unité sans questionnement est une fiction dangereuse.
Je préfère une communauté qui débat que des Antillais qui se taisent pour ne pas déranger la vitrine, et parce que c'est plus confortable pour manger au râtelier.
À ceux qui me parlent "d’aigreur”, je vous parle de mémoire. Ce que vous appelez aigreur n’est que mémoire non digérée. Oui, je m’interroge quand je vois nos figures culturelles poser avec un président qui, dans le même souffle, salue l’héritage colonial et appelle à la fierté des "Outre-mer" sans en reconnaître les douleurs.
Kassav’ n’est pas responsable de cela. Mais leur absence de prise de position a laissé un vide que les selfies ont comblé. Et ce vide a un prix.
Nous n’avons pas à choisir entre idolâtrie ou trahison.
Je peux aimer le Kassav’ de "Syé Bwa", "Gorée", "An ba chenn la", et ne pas reconnaître celui qui se laisse instrumentaliser sans distance. Je peux rendre hommage à Jacob Desvarieux, tout en m’interrogeant sur ce qu’il reste de sa vision et de celle de Pierre-Édouard Décimus aujourd’hui. Je peux respecter un héritage sans le sacraliser.
Je ne vous répondrai pas personnellement, car ce débat est plus grand que nous. Il ne s’agit pas de moi, ni de vous. Il s’agit de la maturité politique de notre peuple.
Si votre première réaction à une critique, c’est de parler de "kankan", de “buzz”, de “followers”, ou de “makanda”, alors vous confirmez ce que je redoutais : vous ne savez pas encore distinguer la lumière du miroir.
Je termine avec une certitude
Un peuple qui ne supporte pas d’être auto-critiqué ne sera jamais libre. Et une culture qui refuse de s’analyser finit par devenir un produit.
Je ne suis pas un produit. Je redis pour la seconde fois cette semaine : je suis un Guadeloupéen debout, qui pense, qui observe, qui parle.
É an ké kontinye maké sa an vlé.
Et merci à Jimmy, et beaucoup d'autres de me pousser à approfondir mes ressentis peut-être un peu trop spontanément exprimés
Éric Coriolan
Président de Sentinelles Guadeloupe
Non, je ne suis pas Kassav’. Plus aujourd’hui. Et ce n’est ni du “kankan”, ni du mépris : c’est une posture. Politique.
Kassav’, je l’ai aimé. Comme beaucoup d’entre vous. Kassav’ n’était pas seulement un groupe musical : c’était un souffle, une mémoire rythmée, une affirmation debout dans une langue que l’Histoire voulait courbée. C’était une réponse musicale à l’ordre colonial, une invention sonore qui disait à la République : “nou la, é nou pa vou.”
Mais ce que nous avons vu à l’Élysée n’est pas un concert. C’est un événement politique. Et il est légitime de l’analyser politiquement. Ou alors, c'est ignorer la dimension Politique de Kassav', qui n'est pas à confondre avec "La Compagnie Créole"...
Oui, le créole a résonné dans les murs dorés de l’État. Et alors ? Cela ne suffit pas. Ce n’est pas une victoire, c’est un renversement symbolique : ce que Kassav’ représentait — la décolonisation par la création — s’est retrouvé photographié dans les bras d’un pouvoir qui n’a jamais su reconnaître pleinement notre histoire, ni nos luttes. Ce n’est pas “rentrer dans l’Histoire”. C’est poser dans le décor de ceux qui écrivent encore la nôtre à notre place.
Et plus grave encore : cette mise en scène n’est pas neutre. Elle s’inscrit dans une stratégie bien connue du pouvoir actuel : instrumentaliser la "diversité" pour provoquer la réaction de son "extrême droite", attiser les clivages culturels, tout en se présentant comme “moderne” et “ouvert”. Il n’y a qu’à lire les commentaires sous les articles des médias français annonçant l’événement : haine raciale, rejet du créole, appel à la France “blanche” et “pure”. Le pouvoir le sait. Il mise dessus. Il nourrit ce feu, pour mieux jouer au pompier pyromane. Et dans ce théâtre, nous devenons des figurants.
À ceux qui me demandent de me taire au nom de l’unité, le silence n’a jamais construit l’unité. L’histoire de nos peuples s’est toujours faite dans la parole, dans le refus, dans la lucidité, avec en face la violence. Vous m’accusez de diviser ? Je vous réponds : l’unité sans questionnement est une fiction dangereuse.
Je préfère une communauté qui débat que des Antillais qui se taisent pour ne pas déranger la vitrine, et parce que c'est plus confortable pour manger au râtelier.
À ceux qui me parlent "d’aigreur”, je vous parle de mémoire. Ce que vous appelez aigreur n’est que mémoire non digérée. Oui, je m’interroge quand je vois nos figures culturelles poser avec un président qui, dans le même souffle, salue l’héritage colonial et appelle à la fierté des "Outre-mer" sans en reconnaître les douleurs.
Kassav’ n’est pas responsable de cela. Mais leur absence de prise de position a laissé un vide que les selfies ont comblé. Et ce vide a un prix.
Nous n’avons pas à choisir entre idolâtrie ou trahison.
Je peux aimer le Kassav’ de "Syé Bwa", "Gorée", "An ba chenn la", et ne pas reconnaître celui qui se laisse instrumentaliser sans distance. Je peux rendre hommage à Jacob Desvarieux, tout en m’interrogeant sur ce qu’il reste de sa vision et de celle de Pierre-Édouard Décimus aujourd’hui. Je peux respecter un héritage sans le sacraliser.
Je ne vous répondrai pas personnellement, car ce débat est plus grand que nous. Il ne s’agit pas de moi, ni de vous. Il s’agit de la maturité politique de notre peuple.
Si votre première réaction à une critique, c’est de parler de "kankan", de “buzz”, de “followers”, ou de “makanda”, alors vous confirmez ce que je redoutais : vous ne savez pas encore distinguer la lumière du miroir.
Je termine avec une certitude
Un peuple qui ne supporte pas d’être auto-critiqué ne sera jamais libre. Et une culture qui refuse de s’analyser finit par devenir un produit.
Je ne suis pas un produit. Je redis pour la seconde fois cette semaine : je suis un Guadeloupéen debout, qui pense, qui observe, qui parle.
É an ké kontinye maké sa an vlé.
Et merci à Jimmy, et beaucoup d'autres de me pousser à approfondir mes ressentis peut-être un peu trop spontanément exprimés

Éric Coriolan
Président de Sentinelles Guadeloupe

Commentaires
Enregistrer un commentaire