Le gouvernement polynésien finalise une proposition de loi de pays visant à reconnaître et accompagner les victimes locales des essais nucléaires français. Ce projet, présenté comme complémentaire au dispositif national d’indemnisation, relance le débat sur la lisibilité, la coordination et surtout l’efficacité des mesures existantes.
L’annonce a été faite par le président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, jeudi 17 juillet, lors d’une réunion avec les maires des Marquises, en présence du ministre Manuel Valls et du haut-commissaire de la République. Selon plusieurs participants, cette déclaration a pris de court l’État, sans avoir été officiellement anticipée.
Une initiative complémentaire… mais encore floue
Moetai Brotherson insiste : la Polynésie n’entend pas concurrencer l’État, seul responsable des essais menés entre 1966 et 1996. Il s’agit plutôt de proposer un accompagnement local, en particulier pour les personnes non reconnues ou mal prises en charge par le dispositif national.
« Les essais ont été décidés et menés par l’État. C’est à lui d’indemniser. Nous, nous voulons simplement agir en complément : faciliter l’accès aux soins, à l’aide sociale, et prendre en compte celles et ceux que le système national ignore encore », explique-t-il.
La loi de pays est actuellement en cours de finalisation. Aucune mesure concrète n’a encore été officialisée, mais plusieurs pistes sont à l’étude, notamment la création d’une "carte de victime", qui permettrait de faciliter certaines démarches ou d’ouvrir des droits spécifiques.
« C’est encore à l’état de réflexion, mais l’idée serait de créer un outil de reconnaissance pratique », ajoute la députée Mereana Reid Arbelot, qui insiste sur la complémentarité de ce projet avec son travail au sein de l’Assemblée nationale.
Un constat d’échec côté national
Le dispositif actuel, prévu par la loi Morin de 2010, est censé garantir un droit à réparation pour les personnes atteintes de maladies radio-induites. Mais dans les faits, il est jugé lourd, restrictif et opaque.
Dans son rapport parlementaire, Mereana Reid Arbelot pointe des dysfonctionnements majeurs :
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Seulement 1 demande sur 4 acceptée ;
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Un seuil d’exposition de 1 millisievert jugé trop élevé ;
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Une liste de maladies restreinte ;
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Des procédures complexes, notamment pour les ayants droit ou les habitants des zones reculées.
Même les avancées locales, comme la mission "Aller vers" lancée fin 2021 pour accompagner les demandeurs dans 45 îles ou communes, peinent à inverser la tendance. En 2024, seuls 21 % des dossiers transmis par cette mission ont été acceptés. Si l’on exclut les dossiers non recevables, le taux monte à 38 %, mais les délais de traitement restent longs : deux ans en moyenne.
Le maintien de cette mission au-delà de 2025 n’est pas garanti et dépendra des choix budgétaires de l’État.
Un statut polynésien pour répondre aux angles morts
Dans ce contexte, le projet polynésien apparaît comme une tentative de répondre localement aux défaillances du cadre national. Il viserait à offrir une forme de reconnaissance morale et sociale à des personnes exclues du système national, en attendant une réforme de la loi Morin, régulièrement promise mais sans cesse reportée.
Reste à savoir quelle forme prendra réellement ce statut : quels seront ses critères, ses bénéficiaires, ses effets juridiques ? Et surtout, quels moyens financiers et humains le gouvernement du Pays y consacrera.
C’est à cette condition que ce texte pourra marquer une avancée réelle pour les victimes — qu’elles soient reconnues officiellement… ou non.
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