Adidas met en avant Jules Koundé… mais cache l’Amazonie qui brûle


Icône d’une publicité chic et inclusive, le joueur français incarne l’aura branchée des baskets historiques de la marque. Pourtant, une enquête révèle que leur production alimente déforestation et esclavage moderne à l’autre bout du monde.


Adidas : le revers sombre du succès des sneakers

En 2022 et 2023, les Adidas Samba, Gazelle et Spezial se sont imposées comme les baskets incontournables du moment. Devenues des icônes de la mode, elles se sont arrachées à une vitesse fulgurante. Un succès d’autant plus frappant que ces modèles ne sont pas nouveaux : leur conception remonte aux années 1940, quand elles étaient vendues comme chaussures de football en salle. Aujourd’hui, elles se portent partout, du quotidien aux podiums.


Le tournant s’est joué en 2022, quand Adidas a relancé ces modèles en partenariat avec Gucci. Résultat : des éditions limitées dans des teintes éclatantes — rose et violet, vert et bleu, ou encore bleu et orange — proposées à près de 800 euros. Stars et influenceurs comme Bella Hadid, Hailey Bieber, Kendall Jenner et Harry Styles se sont rapidement affichés avec ces sneakers de luxe. Devant l’enthousiasme du public, Adidas a sorti des versions plus accessibles, autour de 120 euros. En quelques mois, elles sont devenues les baskets les plus convoitées du marché, offrant à la marque un rebond financier spectaculaire.


Dans la foulée, Adidas a peaufiné son image avec une nouvelle campagne publicitaire. Le visuel, en noir et blanc, met en scène le footballeur français Jules Koundé, dreadlocks nouées, dans une pose sobre et élégante. Ce choix symbolique ancre la marque à la croisée de son héritage sportif et d’une imagerie culturelle urbaine et afro-caribéenne. En célébrant diversité et style, Adidas cherche à séduire une génération sensible aux codes du streetwear et de l’inclusivité.
Mais cette communication “léchée”, qui projette une image progressiste et authentique, contraste fortement avec la réalité de sa production.


Derrière le succès, une production controversée

Une enquête du média d’investigation néerlandais Follow The Money révèle que la fabrication de ces baskets soulève de sérieuses questions éthiques. En analysant les déclarations d’importation et la chaîne d’approvisionnement, les journalistes ont découvert que le cuir utilisé provenait en partie d’élevages brésiliens liés à la déforestation de l’Amazonie. Certaines exploitations agricoles seraient également pointées du doigt pour des conditions de travail jugées « dégradantes » par l’inspection du travail brésilienne.


Une production qui explose

La demande a fait bondir les cadences. Les usines du fabricant taïwanais Shyang Shin Bao — installées au Vietnam, en Indonésie et au Myanmar — ont dû multiplier leur production par douze en quelques mois. « La pression est énorme », explique Maria Rizkiana, responsable des achats dans l’une de ces usines. « Les heures supplémentaires s’accumulent, le stress grandit. »
De 50 000 paires produites par mois en janvier 2023, les volumes sont passés à 600 000 en juin. Un rythme effréné pour les 7 000 employés du groupe.


Déforestation et travail précaire

Pour répondre à cette demande colossale, l’approvisionnement en cuir est devenu un enjeu crucial. Le cuir indien et chinois étant écarté pour des raisons liées au bien-être animal, les sources restent opaques. Selon Follow The Money, en collaboration avec les ONG SOMO et Stand.Earth, une part importante du cuir provient du Brésil. Des géants comme JBS, Minerva, Viposa, Vancouros ou Fuga Couros, déjà accusés de contribuer massivement à la déforestation, fourniraient la matière première.


Les conditions de travail sont également mises en cause. Chez l’un des fournisseurs de JBS, l’inspection du travail a découvert des ouvriers payés environ 7,50 euros par jour, logés dans des baraquements insalubres et sans contrat officiel. Des pratiques assimilées à une forme d’« esclavage moderne ».


Adidas garde le cap

Malgré les alertes répétées des ONG — notamment Stand.Earth dès 2021 — Adidas n’a pas rompu ses partenariats. Interrogée, la marque allemande affirme vouloir travailler avec le Leather Working Group pour améliorer la traçabilité de son cuir « jusqu’à l’abattoir d’ici 2030 ». En attendant, rien ne change à court terme.


Le paradoxe d’Adidas

D’un côté, Adidas s’offre une image “engagée”, en s’associant à des visages comme Jules Koundé, incarnation d’un football moderne, multiculturel et stylisé. De l’autre, la marque ferme les yeux sur une chaîne d’approvisionnement qui détruit la forêt amazonienne et maintient des milliers d’ouvriers dans la précarité.


Ce grand écart illustre une stratégie de communication qualifiée de brandwashing : mettre en avant diversité, authenticité et inclusivité pour séduire les consommateurs, tout en perpétuant des pratiques industrielles contraires à ce discours.


En clair, si les sneakers Adidas rapportent des millions et s’affichent dans les campagnes les plus stylisées, c’est l’Amazonie et ses travailleurs qui en paient le prix.


Commentaires