Pwofitasyon : la vie chère en Martinique


Quinze ans après une grève générale contre la vie chère qui avait paralysé les Antilles, les prix alimentaires restent 40% plus élevés en Martinique que dans le reste de la France, exaspérant ses habitants qui réclament un «alignement» avec l’Hexagone.

Sur le parking d’un hypermarché de Fort-de-France, bondé en cette fin de journée, Marie-Line, 49 ans, pousse son chariot de courses rempli au quart. «Il y en a pour 190 euros. C’est violent», grommelle cette cadre de banque originaire de la commune de Rivière-Salée (sud). «Quand j’ai vu le prix des fruits de mer, j’ai renoncé», soupire-t-elle en fustigeant «la différence de prix comparé au chariot en métropole». «Le peuple en a assez», abonde Thierry, un fonctionnaire de 58 ans, cabas au bras. «On arrive difficilement à joindre les deux bouts», maugrée ce père de famille, qui dit faire «très attention» à son budget. «Tous les ingrédients sont là pour que ça explose».


Source de mécontentement depuis plusieurs années dans les Antilles, la cherté de la vie a suscité un regain de crispations depuis le début du mois de septembre. Dimanche 1er, à l’appel du Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC), plusieurs centaines de personnes ont manifesté entre un centre commercial et les abords du port de Fort-de-France. Après l’interpellation, puis la remise en liberté, d’un des leaders de ce collectif, qui réclame l’alignement du prix des produits alimentaires sur ceux pratiqués dans l’Hexagone, des heurts ont éclaté à Fort-de-France dans la nuit de lundi à mardi.


La mobilisation du RPPRAC s’est poursuivie mercredi, entraînant la fermeture d’un hypermarché dans l’après-midi. En réponse, le préfet de la Martinique Jean-Christophe Bouvier a annoncé la tenue d’une table ronde sur la fixation des prix, jeudi. Partie des réseaux sociaux, cette mobilisation, quinze ans après la grève générale de 2009 qui avait paralysé la Martinique et la Guadeloupe pendant plusieurs semaines pour protester contre la «pwofitasyon» (les profits excessifs), rencontre un écho favorable auprès de la population.


Malgré les nombreuses mesures adoptées depuis cette grève restée dans les mémoires, le différentiel de prix entre la Martinique et la France hexagonale demeure considérable: il était de 14% en 2022, et de 40% pour les seuls produits alimentaires, selon une étude de l’Insee publiée en juillet 2023. On trouve ainsi pour du papier toilette pour douze euros.


En juillet 2024, le taux d’inflation sur douze mois s’établissait à 3,2% dans l’île de 350 000 habitants et à 4% pour l’alimentation, contre 2,3% et 0,5% respectivement au niveau national. Ce différentiel persiste en raison «des trois causes de la vie chère, qui ont été identifiées depuis déjà quelques années», indique Patrick Plantard, le président de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus des Antilles-Guyane. L’éloignement géographique est responsable de «65 à 67% du surcoût», précise le dirigeant de cette structure qui regroupe plusieurs dizaines d’acteurs publics et privés.


En outre, l’exiguïté du marché local «ne permet pas d’économies d’échelles pour nos producteurs», ajoute-t-il, estimant enfin que l’octroi de mer — impôt local prélevé sur les produits importés pour financer les collectivités — introduit «une barrière douanière déguisée, mais aussi une barrière administrative, qui empêche le développement de l’e-commerce». Ces surcoûts qui s’additionnent tout au long de la chaîne d’approvisionnement, dans une île qui importe 85% des produits qu’elle consomme, ont un impact sensible sur les produits à faible valeur ajoutée comme l’alimentation.


Ainsi, un paquet de pâtes vendu à Fort-de-France «aura pris plus de 71% par rapport à son prix d’achat», illustre Catherine Rodap, la présidente du Medef Martinique, qui préconise un coût de transport modulé «en fonction de la valeur réelle des marchandises» et un «abattement total ou partiel de l’octroi de mer» sur les produits de première nécessité.


Les Martiniquais devraient en outre «privilégier les circuits courts, notre petite paysannerie», exhorte pour sa part Eric Bellemare. La grève de 2009 «a créé un début de prise de conscience. Maintenant, il faut continuer à travailler», poursuit le leader syndical.


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