Le retrait français du Sahel tourne complètement la page de ce que certains nommaient « la Françafrique ». La présence militaire française dans son ex-pré carré africain va se réduire à peau de chagrin, en dehors de la base historique de Djibouti.
La présence militaire permanente française en Afrique aura fondu comme neige au soleil depuis le départ des forces du Mali fin 2022. Au plus fort de l'opération Barkhane, déployée au Mali pour lutter contre le terrorisme, plus de 5.100 militaires français étaient engagés. Jusqu'au départ en cascade d'abord du Mali, avant de se retirer du Burkina Faso puis du Niger, après la brouille avec les régimes putschistes de ces pays. Fin 2022, les derniers militaires encore présents, pour sécuriser l'aéroport, quittaient aussi la Centrafrique.
D'une présence effective dans neuf pays avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso, la Centrafrique, le Tchad, le Gabon, le Sénégal et la Côte d'Ivoire et Djibouti, il ne devrait donc rester bientôt qu'une centaine de militaires au Gabon et en Côte d'Ivoire, en sus des 1.500 à Djibouti. Cette dernière base concentrera donc à elle seule 80 % de la présence militaire française sur le continent qui, au temps de la splendeur de la Françafrique, peu après l'accès à l'indépendance en 1960, comptait 60.000 hommes dans près de 90 garnisons sur le continent et Madagascar.
Spectaculaire réduction
Avant l'annonce du Tchad et du Sénégal, l'armée française comptait encore 3.650 soldats dans ce qu'elle appelle les « forces prépositionnées », soit les bases militaires des pays avec lesquels s'est tissée au fil des décennies une forte coopération militaire. Avec Djibouti, l'accord de défense a été récemment reconduit, et la France conserve sa base (1.500 hommes), à côté de celles des Américains, des Chinois, et d'autres.
Le principal point d'ancrage était ensuite le Tchad, où la base militaire de N'Djamena est le coeur historique de la ville. Tandis que, depuis longtemps, les forces se réduisent au Sénégal (350 hommes), en Côte d'Ivoire (600), au Gabon (300). A l'inverse, la base française ouverte aux Emirats arabes unis grandit (850 hommes).
La baisse de la présence tricolore est à l'étude depuis quelques années en France. Avec les échecs répétés de l'opération Barkhane, Emmanuel Macron demande depuis plus de deux ans un plan de retrait ou au minimum des explications plus détaillées sur les déploiements français.
D'où la mission confiée au printemps dernier par le président à son envoyé spécial, Jean-Marie Bockel, qui a rendu à l'Elysée son rapport le 26 novembre. Ce dernier y prône des désengagements significatifs et de la « coopération en coconstruction ». Jusqu'à réduire les forces à quelque 1.700 soldats l'an prochain.
Poussée du sentiment anti-Français
Le débat a trop traîné, chaque ministère défendant des points de vue contraires. Au ministère des Armées, une grande partie de la hiérarchie n'était pas encore prête à entendre les arguments en faveur d'un repli. Ces bases sont historiques, avec comme à N'Djamena une présence continue depuis le XIXe siècle.
Renseignements, lutte contre le terrorisme, aides aux populations, protection des ressortissants en cas de crise, les militaires ont toujours de bons arguments pour défendre leur présence. « On défendait une stratégie du temps long, pour avoir du renseignement et combattre le terrorisme », confie un haut gradé. Quand bien même, sur le terrain, nombre de soldats assistaient avec regret à la poussée du sentiment anti-Français.
Même l'état-major a fini par basculer. En janvier, Thierry Burkhard, chef d'état-major des armées, admettait que le « dispositif militaire » français produisait, « notamment dans le champ des perceptions, des effets négatifs qui finissent par peser plus lourd que les effets positifs ». Et d'ajouter : « Il faut impérativement que nous prenions la peine de laisser les pays partenaires souverains communiquer sur leurs actions. »
Mais si Paris était prêt à entendre les demandes du nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomayé Fay, et son souverainisme, les forces armées ne s'attendaient pas au retournement tchadien. Que s'est-il passé précisément ? Les spécialistes du continent s'interrogent.
« On a tardé à trancher sous l'influence de quelques nostalgiques de l'empire, et on se fait virer [du Tchad]. Un vrai camouflet pour la France. »
Caroline Roussy, directrice de recherches à l'Institut de relations internationales et stratégiques
Le Tchad réclamait encore il y a peu plus de moyens à la France pour combattre le terrorisme. « La visite du ministre des Affaires étrangères, qui plaidait sans doute pour une diminution des effectifs, s'est sans doute mal passée », analyse Caroline Roussy, directrice de recherches à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Ifri), qui a beaucoup travaillé sur l'acceptabilité des bases militaires françaises au Sahel.
« La politique tchadienne n'est jamais très lisible, mais cela fait longtemps que les bases militaires deviennent un irritant et alimentent un sentiment anti-Français. On a tardé à trancher sous l'influence de quelques nostalgiques de l'empire, et on se fait virer. Un vrai camouflet pour la France », ajoute-t-elle.
« La présence française en Afrique est devenue un élément de politique intérieure. Quand il y a des difficultés et le besoin de réveiller le nationalisme, la France devient le bouc émissaire », explique un militaire. « Il y a, en France, une nouvelle génération d'hommes politiques français qui n'assume pas le lien de francophonie historique avec l'Afrique et va faire des leçons de droits de l'homme aux Africains, qui n'adhèrent pas du tout à ce discours, dont ils dénoncent le double usage. Et du côté africain, une nouvelle génération de dirigeants réagit à la rue et la population est très jeune. »
Coup dur pour l'Occident
Le départ des militaires français d'un continent dont 18 pays étaient d'anciennes colonies ou des protectorats signe donc la fin d'une relation spéciale, pour laquelle plus personne n'a d'appétit. Mais ce retrait engendre aussi un vide occidental sur un territoire où les menaces terroristes sont toujours très fortes.
Ni Boko Haram, ni Aqmi, ni l'EIGS n'ont disparu, et jamais les attaques de civils n'avaient été aussi fortes au Niger, au Mali et au Burkina Faso, comme en témoignent les rapports des ONG. « Que va-t-il se passer ? La Russie offre ses services, et pourrait avec le Tchad gagner son pari de contrôle et d'implantation d'Est en Ouest du continent », met en garde Caroline Roussy.
Un avis partagé par Elie Tenenbaum, chercheur à l'Ifri et coordinateur du laboratoire de recherche sur la défense. Le rapport de Jean-Marie Bockel « recommandait une réduction drastique de la présence, commente-t-il. Ce n'est pas nécessairement ce qui était demandé initialement par les partenaires. Mais les décisions s'orientant dans cette direction, ils ont préféré annoncer que la décision était la leur. »
« Une fois de plus, les Africains ont avancé plus vite que les Français », ajoute le chercheur. Ce faisant, ils offrent à la Russie, en pleine poussée d'influence sur le continent, un joli cadeau. « Aussi bien le Tchad que le Sénégal ont resserré les échanges avec Moscou ces derniers mois. Si la Russie n'a pas d'intérêts majeurs dans ces pays, c'est une bonne manière pour elle de porter un coup aux Français. »
A Paris, le ministère des Armées plaide officieusement que les temps ont changé et qu'il n'y a pas besoin de maintenir des bases permanentes coûteuses pour défendre les intérêts économiques et politiques de la France. Illustration : le Royaume-Uni, autre ex-puissance coloniale de premier plan en Afrique et doté de responsabilités mondiales puisque membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, ne maintient qu'une seule base permanente sur le continent, au Kenya, en sus d'un détachement à Djibouti. La Chine, qui rivalise avec Paris, Londres et Washington en matière de commerce et d'influence, ne juge pas utile de disposer d'une présence militaire permanente, sauf, là encore, à Djibouti.
Djibouti, pays garnison
Djibouti, pays désertique d'un million d'habitants au débouché de la mer Rouge, par où transite un cinquième du commerce maritime mondial, dispose de ce fait d'une position stratégique monnayée financièrement et politiquement. Cet ancien territoire d'outre-mer français devenu indépendant en 1977 jouit donc de la particularité unique au monde d'abriter volontairement des détachements militaires permanents de pas moins de dix pays ! Au point d'être qualifié par des analystes « un Etat garnison étrangère ». Y sont présents : la plus grande base américaine sur le continent, soit 3.200 militaires, dont des commandos Navy Seal, la France, ainsi que, avec des effectifs ne dépassant toutefois pas la centaine, le Japon, l'Espagne, la Chine, l'Italie, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Allemagne et l'Arabie saoudite. Mais pas la Russie…
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