Depuis le 25 septembre 2025, Madagascar connaît une agitation sociale d’une ampleur inédite. Ce qui avait commencé comme de simples protestations contre les coupures d’électricité et d’eau s’est mué en une véritable révolte nationale. En quelques jours, la colère a embrasé Antananarivo et plusieurs grandes villes, provoquant pillages, répression sanglante et chute du gouvernement. La jeunesse malgache, souvent qualifiée de « Génération Z », a rappelé au monde que l’énergie n’est pas qu’une question technique : c’est une question de survie politique.
Une contestation qui s’étend
Les premières mobilisations ont éclaté à Antananarivo, notamment à Ambohijatovo, rapidement bouclé par les forces de l’ordre. Gaz lacrymogènes, tirs à balles réelles, déploiement d’un char : les images ont choqué au-delà des frontières. Mais la colère s’est vite propagée à Toamasina, Antsiranana, Mahajanga et Toliara, donnant au mouvement une dimension nationale.
Les cibles des manifestants se sont diversifiées : la station flambant neuve du téléphérique d’Ankorondrano, vitrine du pouvoir, a été incendiée ; des commerces liés à des proches du régime pillés ; des résidences de parlementaires attaquées. Très vite, la contestation ne visait plus seulement les délestages, mais un système jugé corrompu et déconnecté des réalités.
La JIRAMA, symbole d’un malaise profond
Au centre de la crise : la JIRAMA, compagnie nationale d’électricité et d’eau, incapable de répondre à la demande. Ses infrastructures vieillissantes et ses pertes massives en ont fait un bouc émissaire. Selon la Banque mondiale, seulement 39,4 % des Malgaches avaient accès à l’électricité en 2023. Deux ans plus tard, la réalité serait plus proche de 35 %, avec un contraste flagrant : près de 80 % des citadins sont raccordés, contre moins de 10 % des ruraux. Dans certains quartiers de la capitale, les coupures dépassent douze heures par jour.
Cette situation tranche avec les discours officiels. Quelques jours avant les manifestations, le président Andry Rajoelina se félicitait à la tribune de l’ONU d’une augmentation de 66 % de l’accès à l’électricité en six ans. Dans les rues d’Antananarivo, les familles, elles, s’éclairaient à la bougie.
Une génération en première ligne
La jeunesse a rapidement pris la tête du mouvement. Étudiants, lycéens, influenceurs : une génération connectée, sans parti ni leader, qui a transformé une frustration diffuse en mobilisation nationale. Les réseaux sociaux ont servi de relais pour organiser rassemblements et slogans, tandis que le drapeau pirate de la série japonaise One Piece est devenu l’emblème inattendu de cette contestation.
Répression et contre-feux politiques
Face à cette mobilisation, le régime a choisi la manière forte. L’ONU a dénoncé un usage « disproportionné » de la force, qui aurait fait au moins 22 morts et plus de 400 blessés. Pris de court, Rajoelina a tenté de réagir : limogeage du ministre de l’Énergie le 26 septembre, dissolution du gouvernement Ntsay le 29, et promesse de ne pas briguer un nouveau mandat. Mais ces annonces n’ont pas calmé la rue : dès le lendemain, les cortèges réclamaient son départ.
Des projets énergétiques en panne
La colère s’est cristallisée sur les grands projets énergétiques inachevés, symboles de promesses non tenues. Volobe Amont (120 MW) reste enlisé depuis des années, Sahofika (192 MW) n’a jamais dépassé le stade du financement. Ces chantiers, censés réduire la dépendance du pays au fuel importé, incarnent désormais l’impuissance du régime.
Entre espoir et incertitudes
Au-delà des destructions — supermarchés incendiés, résidences d’élus attaquées, téléphérique réduit en cendres —, la révolte exprime un rejet global de la corruption et de l’injustice sociale. Mais le coût est lourd : les distributeurs estiment qu’il faudra jusqu’à trois mois pour rétablir l’approvisionnement en biens essentiels.
Cette crise est avant tout celle d’une jeunesse refusant la résignation. Elle dénonce les délestages chroniques, l’écart entre dirigeants et citoyens, et invente de nouvelles formes de contestation par l’humour, les memes et les livestreams. Mais elle met aussi en lumière une crise politique plus profonde : depuis la présidentielle de 2023, largement boycottée, la légitimité de Rajoelina reste fragile.
Et maintenant ?
Trois scénarios se dessinent :
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La désescalade, avec un Premier ministre de consensus, une relance des projets énergétiques et une médiation régionale.
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L’enlisement, avec des manifestations hebdomadaires et une économie en berne.
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Le durcissement, marqué par une répression accrue et un risque d’internationalisation devant le Conseil de sécurité de l’ONU.
Quelle que soit l’issue, la révolte de septembre 2025 restera un tournant. Elle rappelle que la stabilité d’un pays peut se jouer dans les gestes les plus simples : allumer une ampoule, ouvrir un robinet. À Madagascar, c’est l’absence de ces évidences qui a déclenché une crise politique majeure. Et une génération entière a décidé qu’elle n’accepterait plus de vivre dans l’ombre.
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